Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/454

Cette page a été validée par deux contributeurs.
448
REVUE DES DEUX MONDES.

autres voïevodes au siége de Belgrad, les avait abandonnés. Trouvant indigne d’un Bosniaque de se soumettre à la discipline autrichienne, que George-le-Noir prétendait introduire dans l’armée serbe, il était retourné vers ses montagnes de la Radjevina. Mais les montagnards avaient reconnu l’autorité civile de Jacob Nenadovitj, dont Tchourdja se disait l’égal. Le haïdouk s’obstina dans cette prétention malheureuse ; cité pour ses brigandages au tribunal de Jacob, il fut condamné à mort, et, après s’être défendu comme un lion contre les momkes nombreux envoyés pour l’exécuter, il succomba, première victime des discordes civiles enfantées par l’ambition chez les raïas émancipés.

Cependant, malgré les nouvelles persécutions exercées par les Turcs sur les chrétiens, l’affranchissement poursuivait son cours. Chassés de toute la Serbie, les janissaires bosniaques ne tenaient plus que dans deux villes, Oujitsa et Karanovats. George-le-Noir fondit sur cette dernière place, mais le pacha de Novibazar venait d’envoyer secrètement à la garnison de Karanovats de tels renforts que les chrétiens furent mis en pleine déroute et essuyèrent une perte énorme. Heureusement Jacob ne tarda pas à venger George-le-Noir par des succès éclatans. Aidé par Meleti, archimandrite du couvent de Ratcha, et par le voïevode Milane Obrenovitj, il marcha avec trois mille hommes d’élite sur Oujitsa, dont le commandant, effrayé, envoya une députation de vingt vieillards demander la paix. Ces vieux spahis à la barbe blanche ne pouvaient croire que les raïas eussent vraiment avec eux des canons ; les ayant vus de leurs yeux, ils pensaient qu’ils étaient de bois bronzé ; enfin, les ayant touchés et s’étant convaincus, ils se mirent à pleurer et dirent à Jacob : — Quels temps affreux sont arrivés ! Raïa du tsar turc, pourquoi vas-tu canonner les forteresses de ton empereur ? — Hourra au tsar turc ! s’écria Jacob ; à bas seulement ses ennemis ! — S’élançant sur Oujitsa à la tête de ses troupes, il s’en empara et y mit le feu le 20 juillet 1805. Les marchands turcs obtinrent seuls, en donnant 50,000 piastres et quatre-vingts étalons arabes, la permission de rester dans les ruines de cette ville ; quant aux spahis, ils furent tous passés au fil de l’épée.

Tant de défaites firent sentir aux Serbes musulmans la nécessité d’une coalition plus générale contre leurs frères chrétiens. Le visir même de Skadar, Ibrahim, par ordre du sultan, se ligua avec le visir de Bosnie, leva quarante mille Albanais, tant Serbes que Chkipetars, et envahit avec eux la Serbie par sa frontière bulgare, tandis que quarante mille Bosniaques l’envahissaient par sa frontière du midi,