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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Neboicha[1]. Pendant que les étoiles qui éclairent l’horizon serbe se miraient dans les coupes dorées, les chefs des pays serbes s’y mirèrent eux-mêmes ; mais ils se virent sans tête ! Épouvantés de ce présage, les chefs brisèrent les coupes et en jetèrent les débris dans le Danube. »

Dans ces coupes dont le fleuve écumant emportait les débris vers la mer Noire, les princes des spahis pouvaient voir un autre présage de leur ruine prochaine : bientôt, réduits à fuir, ils se confieraient en vain au Danube, qui ne recevrait que leurs cadavres mutilés. Animés par le pope Louka Lazarevitj, les raïas de la Save et de la Koloubara s’insurgent et mettent à leur tête Jacob Nenadovitj, ancien officier au service autrichien. En même temps se lèvent dans la Choumadia les deux frères Marko et Vasso Tcharapitj, et sur la Morava les deux inséparables pobratims, Milenko de Klichevats et Pierre Todorovitj de Dobrinia. Mais les knèzes des villages, vieillards amis de la paix, condamnaient hautement l’audace des jeunes gens ; il fallut que les haïdouks parcourussent en personne les hameaux pour forcer tous les hommes à les suivre. En vain les quatre dahis avaient député vers les rebelles le métropolite Leonti pour les ramener au devoir : cet évêque, odieux aux Serbes non moins que les Turcs eux-mêmes, avait reçu pour réponse qu’on parlerait de paix quand les dahis seraient exterminés. Les janissaires bosniaques quittèrent donc Belgrad avec Aganlia pour aller châtier les auteurs de cette insolente réponse. De son côté, Ali-Vidaïtj sortit de Zvornik pour ravitailler Chabats, que bloquaient les troupes de Jacob Nenadovitj : il fut repoussé vigoureusement. Le fougueux Bosniaque Tchourdja, dont chaque coup de carabine abattait un ennemi, parut dans ce combat, portant l’étendard devant le knèze Jacob. Habile comme tous les haïdouks à briser un joug abhorré, mais ignorant l’art d’organiser un pays après la victoire, Tchourdja avait laissé les districts émancipés par ses efforts se donner des lois et se choisir leurs knèzes et leurs juges ; puis, courant avec ses frères d’armes à d’autres exploits, il s’était élancé des monts bosniaques vers la Save. Vainqueur de Vidaïtj, il apprend qu’un nouveau corps de mille spahis d’élite, sous le beg Notjina, s’avance vers Chabats. Quoiqu’il n’ait que deux cents haïdouks, Tchourdja va les attendre au monastère de Djokechina. Ces braves, dont chacun s’était fait un rempart d’un arbre ou d’un rocher, défendirent le défilé durant quinze heures ; ce ne fut que quand ils eurent épuisé leurs dernières cartouches que l’ennemi put les

  1. Prison d’état de Belgrad.