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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

révoltes, soutenu le parti contraire à celui des Serbes schismatiques. Appuyés d’abord par Venise, et maintenant par l’Autriche, ils ont étendu leur propagande jusqu’à Novibazar, au fond de la Bosnie. Leur qualité de catholiques latins et de coreligionnaires des Francs leur assure des priviléges refusés de tout temps par les Turcs à leurs raïas schismatiques ; ils ont pu bâtir de nombreux couvens pour leurs moines minorites et franciscains, et ils possèdent dans les villes de belles églises, tandis que les pauvres chrétiens de rite grec sont souvent forcés d’aller célébrer en plein air, sous l’abri des forêts et dans les cavernes, leurs cérémonies religieuses. Mais, au milieu de ces catacombes nouvelles, la prière a toute la ferveur des temps primitifs de l’église ; l’inconcevable ignorance des popes serbes de Bosnie peut seule troubler l’impression que produit toujours sur le voyageur l’élan d’une piété sincère. Pourquoi faut-il que le fanatisme vienne égarer ces consciences si simples, et armer ces frères les uns contre les autres ? Pourquoi les moines des deux églises rivales refusent-ils d’unir leurs efforts quand il s’agit de ranimer une patrie commune, et de détruire des préjugés barbares qui scindent un peuple généreux en deux castes ennemies ? Ce serait aux plus éclairés d’entre eux, aux moines romains, de donner les premiers l’exemple de la conciliation, en laissant leurs ouailles s’unir, pour tout ce qui est d’intérêt temporel, avec leurs frères schismatiques.

III.

Les luttes étranges qui remplissent l’histoire moderne des Bosniaques forment un problème dont l’Europe ne soupçonne pas même l’existence. Les hommes de cabinet s’imaginent en général connaître suffisamment l’histoire des populations de l’empire turc, pour peu qu’ils aient lu l’énorme compilation des chroniques ottomanes que le savant M. de Hammer a publiée. Mais ces chroniques n’offrent que la vie des sultans et de leurs serviteurs ; en dehors de ce mouvement de politique centrale, il y a la vie intérieure des provinces d’Orient, dont le tableau tout entier reste à faire, tableau plein de drames palpitans, surtout depuis que les vieilles nationalités abattues se relèvent dans toute l’énergie d’une jeunesse reconquise, et se ferment ou s’ouvrent à la civilisation européenne, suivant la diversité de leurs intérêts. Une puissante poésie s’attache à ces luttes acharnées, à ces élémens si vierges, ce chaos d’une vie nouvelle, qui