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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

mois sans se lasser de l’isolement ; c’est là que l’on conçoit la vie libre du poète et du guerrier primitifs. Muni de vivres, l’étranger plante sa tente sur un de ces plateaux qui sont la propriété commune de l’indigène et du voyageur ; il laisse paître en liberté dans la montagne son petit cheval bosniaque, accoutumé à revenir comme un chien fidèle au moindre coup de sifflet de son maître. La nature a si bien adapté la constitution physique de ces patiens animaux aux solitudes de l’Orient, qu’on n’a presque pas à s’inquiéter de leur nourriture : l’herbe des pâturages leur suffit la plus grande partie de l’année. Ce sont les chameaux de la Turquie d’Europe.

La Bosnie et ses annexes n’offrent d’un bout à l’autre qu’un entassement de montagnes, qui, aboutissant vers la Macédoine et l’orient aux pics géans du Char-dag (l’ancien Scardus), se terminent à l’occident par la chaîne du mont Kozara en Croatie, et les cimes hertsegoviniennes du Tserna-Goro, bien distinctes du Monténégro, et qui sont l’Orbelus des géographes. D’innombrables chaînes subalternes descendent en outre des Alpes grecques, se prolongent jusqu’au Danube, et s’abaissent peu à peu sans cesser d’offrir, même en Serbie, plusieurs cimes aplaties où la neige ne fond jamais. Beaucoup de ces montagnes, en Bosnie comme en Serbie, portent des noms qui indiquent qu’on en tirait autrefois des métaux : Srebernitsa signifie l’argentière ; Zlatibor et Zlatovo désignent des mines d’or, Roudnik et Maïdan-pek, des mines de cuivre, et Jeleznik, des mines ferrugineuses. Les Tsiganes nomades sont encore à présent les seuls hommes chargés de l’exploitation métallurgique de ces montagnes, et ils se contentent de traîner des toisons dans le lit des torrens pour retirer les paillettes d’or, qui se trouvent partout, disent-ils, en abondance. Mais les progrès de la civilisation ne permettront pas long-temps aux chefs serbes et bosniaques de se contenter de ce mode primitif d’exploitation. Déjà éclairé par le voyageur Herder sur l’importance et le gisement des principales mines de sa principauté, le prince Miloch avait passé un marché avec des mineurs saxons, et pris des mesures pour s’approprier le monopole de l’exploitation, lorsqu’en 1839 les plans de l’avare s’évanouirent avec sa puissance. Le visir de Bosnie s’est fait de même indiquer par un Allemand, le docteur Schulz, les plus importans dépôts de minerai de sa province. Il sait maintenant où l’argent se cache sous l’apparence du plomb ; on lui a même indiqué une riche mine de mercure, et les pauvres raïas, qui, appréhendant les résultats de ce voyage scientifique, maudissaient tout haut le docteur allemand, ne tarde-