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fond de la Bosnie l’assistance du prélat favori de Dieu, on se contente de lui envoyer le manteau du malade, afin qu’il répande sur ce vêtement ses précieuses bénédictions.

Les demeures des Bosniaques ne sont ordinairement que de grandes huttes en argile et en bois, couvertes de chaume et d’écorce de tilleul, et composées de plusieurs petites pièces qui toutes ouvrent sur un appartement central. Cette chambre commune est la salle de la famille, dont elle renferme l’âtre, qui est chez le pauvre un vaste cercle creusé dans la terre au milieu de la chambre. Là se cuisent les repas, là tous, frères, sœurs et parens, s’asseoient sur des bancs pour les causeries du soir ; ils entourent le grand-père ou l’ancien de la famille, qui, avec sa vieille compagne, est le gardien naturel du foyer. Chez les riches et dans les villes, cette salle est ordinairement placée au premier et unique étage de la maison ; elle offre un élégant divan entouré de fenêtres et jeté en saillie sur la rue qu’il domine. Le seul meuble qui dans ces demeures rappelle l’Europe, ce sont les poêles allemands en terre cuite et vernie, massifs, presque aussi hauts que la chambre, et qu’on nomme baboura. Ces demeures ne servent guère que pendant la saison froide ; dès que l’été approche, le Bosniaque se hâte de dresser dans son jardin, sur le chemin ou en plein champ, des tentes de feuillage pour y prendre ses repas et y passer la nuit. Son dédain pour les commodités de la vie est sans bornes ; il rougirait d’avoir besoin d’un lit pour dormir ; son manteau lui sert de couverture ; il s’étend sur un peu de paille de maïs en hiver, et en été sur l’herbe des prairies. On conçoit qu’avec de telles mœurs le bagage d’une armée soit facile à transporter : aussi voit-on des corps de vingt à trente mille hommes se réunir comme par enchantement et voler avec la rapidité de l’éclair d’une frontière à l’autre de la Bosnie. Cet état de choses, à la vérité, est sur le point de disparaître devant la discipline européenne ; aux mouvemens spontanés des guerriers indigènes succède la marche réglée du nizam ; l’obéissance passive tend de plus en plus à remplacer une liberté anarchique. Toutefois, en dépit des pachas, les faïdas entre capitaines et les exploits des haïdouks servent encore de thème favori aux chansons populaires. Quelques fragmens des piesmas composées sur l’un des plus célèbres haïdouks des derniers temps, Tomitj Miiat, achèveront de donner une idée complète de la vie sociale des Bosniaques. La première de ces piesmas décrit la moba, réunion d’hommes de corvée occupés à recueillir les moissons du spahi.