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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

échappé au mouvement intellectuel dont la révolution française a été le résultat. Par ces causes, toute l’Amérique espagnole se trouva pourvue, au moment de sa séparation d’avec la métropole, d’un certain nombre d’hommes relativement éclairés, surtout dans le clergé et la robe, qui organisèrent, constituèrent et administrèrent les nouvelles républiques, et qui les représentèrent convenablement au dehors dans leurs relations avec les puissances européennes. La République Argentine fut sous ce rapport très bien partagée ; elle eut dans le docteur Mariano Moreno, dans le docteur Chorroarin, le chanoine Valentin Gomez, don Manuel Garcia, le docteur Zavaleta, le chanoine Funes, le docteur Monteagudo, don Manuel Sarratea[1], don Nicolas Herrera, l’illustre M. Rivadavia, et bien d’autres personnages dont le nom nous échappe, une succession d’hommes distingués, amis de la civilisation, des lumières et de la liberté, qui donnèrent un grand relief à son gouvernement, dont les talens honorèrent ses congrès, et qui firent respecter le nom de Buenos-Ayres dans la diplomatie du vieux continent. Si ces esprits éminens avaient pu s’entendre, s’ils avaient su dominer, quelquefois leurs propres passions, plus souvent celles des chefs militaires et des masses inintelligentes et armées, la république et la nationalité argentines se seraient constituées depuis long-temps sur des bases régulières ; mais, après avoir travaillé à organiser et à élever leur pays, tous ceux qui survivent de cette génération ont la douleur de le voir plus malheureux, plus déchiré, plus pauvre, plus éloigné de la civilisation et de la liberté qu’il ne l’a jamais été depuis le commencement de sa révolution Tous les établissemens d’instruction publique sont en décadence ; l’université n’existe plus que sur le papier ; le collége des jésuites a été récemment fermé ; la culture de l’esprit n’est plus en honneur, et le gouvernement, personnifié dans son chef, se montre l’ennemi systématique de l’intelligence, de l’éducation, de toutes les tendances et de toutes les idées libérales. Son langage, ses journaux, les discours tenus par ses séides à la chambre des représentans, les menaces de mort contre les unitaires inscrites partout, vociférées à tout propos, le jour, la nuit, les ridicules exigences de son despotisme, tout ne

  1. D. Manuel Sarratea exerce maintenant à Paris les fonctions de ministre plénipotentiaire de la Confédération Argentine. C’est, au dire de tous ceux qui le connaissent, un homme aimable et éclairé, d’un caractère honorable, et qui a rempli plusieurs missions importantes au Brésil et en Angleterre, où il compte un grand nombre d’amis.