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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

payer une certaine somme au trésor public, enfin le droit d’exiger du paysan la dîme, et les robotes ou corvées pour battre le blé des dîmes, pour transporter à la ville le foin, le maïs, l’avoine, le vin. Mais il y a entre ces deux systèmes une différence qui est tout à l’avantage de la féodalité orientale. En Bosnie, le seigneur n’avait point, comme en Hongrie, de château ni d’intendant sur son fief. Il habitait les villes, et n’envoyait son intendant qu’une fois l’an chez ses vassaux, pour surveiller la livraison des dîmes et de la glavnitsa, capitation de quelques paras pour chaque ame ou couple marié. Tout le reste de l’année, les raïas, ne vivant qu’entre eux, jouissaient d’une complète liberté personnelle. Loin d’être lié à la glèbe, comme le serf des pays germaniques, le paysan serbe mécontent de son spahi pouvait en chercher un autre ; il pouvait vendre ses terres et émigrer avec tout ce qu’il possédait, pour aller tenter la fortune dans un district éloigné. En un mot, les paysans d’un spahilik étaient les véritables propriétaires de leurs champs, et ne devaient que des impôts réglés, au spahi comme à l’état. Aussi, dans beaucoup de villages, le spahi avait-il réussi à se rendre très populaire. Fortement intéressé à la prospérité de l’agriculture d’où dépendait l’abondance de ses dîmes, il s’opposait énergiquement aux razzias des pachas ; il regardait l’oppression de ses raïas comme faisant rejaillir sur lui-même une honteuse accusation de faiblesse ; il était leur avocat, leur défenseur naturel contre les agens fiscaux, qui, ne faisant que passer dans le pays, n’étaient pas directement intéressés, comme lui, à en maintenir la prospérité. En outre, toute juridiction était enlevée au spahi sur les gens de son fief, qui nommaient leurs propres juges, en se réservant le droit d’en appeler au cadi. Le raïa était donc presque aussi libre qu’un fermier qui posséderait des terres en commun avec un habitant de la ville, et devrait lui porter en nature sa part des moissons de l’année.

Les spahis, réunis dans leurs palankes, passaient leur vie tantôt à s’exercer au métier des armes, tantôt à disserter dans les cafés sur les affaires publiques. Divisés en clubs nombreux, ces républicains suivaient avec une vigilance infatigable la marche de l’administration dans leur province, et, au moindre abus des agens du visir, leur susceptibilité nationale éveillée demandait à grands cris une réparation éclatante. Le raïa était sûr alors qu’en temps de paix le haratch et les impôts qu’il payait à la Porte ne seraient jamais augmentés d’un para. Les fiers spahis auraient vu dans cet acte une violation de leurs priviléges. D’un autre côté, les pachas et les agens de la Porte,