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Bosniaques se distinguèrent cependant toujours de leurs compatriotes danubiens par un caractère plus énergique et plus ferme ; ils prétendent aussi l’emporter sur les autres Serbes par la noblesse et la pureté de l’origine. Connus dans l’histoire bysantine sous le nom de Bostsinaki, comme les Serbes du Danube sous le nom de Trivalles, ils croient avoir précédé tous les autres Slaves dans l’empire d’Orient ; ils parlent même de nombreux mariages contractés entre leurs ancêtres et les familles princières des tribus gothiques, auxquelles ils donnèrent des rois, tels qu’Ostrivoï et Svevlad, lorsque, du Ve au VIIe siècle, la nation des Goths parcourait l’Europe. Un amour excessif des libertés locales ne tarda pas à nuire à l’indépendance extérieure des Bosniaques ; ils se divisèrent d’eux-mêmes en plusieurs états souverains, comme le banat de Dalmatie et le royaume de Rama ou de la haute Bosnie. Les Maghiars profitèrent de ces divisions et s’emparèrent du pays, qui ne fut plus régi que par un roi vassal du souverain de la Hongrie. À la fin du XIVe siècle, ce petit roi parvint à s’émanciper complètement ; mais ses anciens protecteurs lui opposèrent aussitôt un concurrent qui le força d’appeler à son secours les Turcs de la Thrace, et le protectorat maghiar dut se retirer devant le protectorat ottoman, qui depuis lors domine la Bosnie.

La série d’évènemens ou plutôt d’intrigues qui avaient réduit les Bosniaques à réclamer l’intervention musulmane ne fait point honneur à la chrétienté latine. Les menées incessantes des cardinaux et des évêques d’Allemagne dans ces régions avaient fini par rendre la masse du peuple indifférente à la religion qu’il voyait si indignement exploitée par un amas d’ambitieux. L’hérésie des bogomiles (élus de Dieu), gnostiques qui niaient la trinité, la hiérarchie ecclésiastique et la divinité du Christ, avait déjà fortement ébranlé la foi orthodoxe en Bosnie et en Albanie. Ces bogomiles, précurseurs des réformes, appelés par les Grecs kathareni ou chrétiens purs, et par les chroniques latines patareni (mot qui n’offre aucun sens), ne contribuèrent pas moins que le schisme grec à provoquer l’intolérance des évêques allemands et à faciliter les conquêtes de l’islamisme en Bosnie. Rome et le saint empire germanique n’avaient attaché à leur cause toutes les grandes familles du pays qu’en leur accordant pour prix de leur conversion des droits féodaux sur les paysans schismatiques : ces familles, instruites à voir dans la religion un moyen de domination temporelle, passèrent du pape à Mahomet, et conservèrent ainsi tous leurs droits seigneuriaux sur les paysans qui ne voulurent pas les imiter. Quant aux marchands, habitans des villes, la