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embrassé la profession militaire avant la séparation avec l’Espagne, puissent être considérés comme des hommes du métier ; mais c’est le très petit nombre, et ils ne sont aujourd’hui que des généraux de parade. Il s’en est élevé plusieurs à la faveur des guerres civiles et des révolutions, qui n’ont aucune connaissance de l’art militaire proprement dit, et ne se sont que très incomplètement formés par l’exercice du commandement. Néanmoins ils suffisent à peu près à leur tâche, dans un pays où toutes les villes sont ouvertes, où l’on a beaucoup plus de privations à supporter et de chemin à parcourir que de grandes manœuvres à opérer, et où les forces ennemies ne sont ni mieux organisées ni mieux commandées. Quant à l’administration militaire, au commissariat, au service médical, rien n’est plus imparfait. On sait combien les armées espagnoles sont arriérées sous ce rapport ; les armées américaines le sont encore davantage, et, à tout prendre, ce n’est pas un malheur : la guerre se fait plus simplement et à moins de frais. La solde est faible, et ridiculement modique pour les officiers supérieurs.

La marine est encore plus mal organisée que l’armée de terre. Celle-ci au moins conserve des cadres qui peuvent toujours se remplir, et la milice des campagnes, composée d’hommes qui vivent à cheval, forme toujours une cavalerie au premier appel ; mais la marine s’improvise de nouveau, chaque fois qu’on en a besoin, et, chose remarquée, il n’existe depuis la Californie jusqu’au cap Horn, sur l’un ou sur l’autre océan, aucune population d’origine espagnole ou indienne qui soit apte à former des marins. La domination espagnole n’a pu empêcher les Américains de devenir des soldats quand il l’a fallu. Ce sont des milices bourgeoises qui ont reconquis Buenos-Ayres sur les Anglais, et l’ont ensuite défendue ; mais l’Amérique espagnole n’a jamais eu de matelots et encore moins de marins.

Cependant l’Espagne, qui était si jalouse de ses colonies et qui avait pris tant de peine pour les tenir dans une perpétuelle enfance, dans l’isolement et la faiblesse, n’avait pu y interdire absolument la culture des lettres et l’enseignement vulgaire du latin, de la philosophie scolastique, de la théologie et de la jurisprudence. Elle avait même été obligée de favoriser au Mexique, par exemple, au Pérou et ailleurs, l’étude des sciences qui se rapportent à la minéralogie et à la métallurgie, pour exploiter avec plus d’avantages les seules richesses que les premiers conquérans et découvreurs fussent allés chercher en Amérique. L’esprit philosophique bien ou mal entendu du siècle dernier avait aussi pénétré dans les colonies espagnoles qui n’avaient pas