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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

garde à la porte de la prison étaient fort pauvrement vêtus et très mal chaussés. Nous avons rencontré aussi quelques soldats de milice accoutrés grotesquement et d’une affreuse saleté ; mais il ne faudrait pas juger des troupes de Buenos-Ayres par ce triste échantillon : les meilleures étaient à la guerre ou réunies dans un camp établi à quatre ou cinq lieues de la ville depuis le mois d’août 1840. Ces troupes sont, dit-on, fort bonnes, et leurs succès le prouvent, bien entretenues, peu, mais régulièrement payées. L’entretien et l’habillement des troupes est un des soins dont le général Rosas s’occupe avec le plus de constance ; il a formé une infanterie, chose remarquable dans un pays où l’homme de la campagne sait aller à cheval dès son enfance, mais ne sait pas marcher. Il a de plus une artillerie nombreuse, et les soldats du campement sont fréquemment exercés. L’armée est forte, beaucoup trop forte eu égard à la population ; aussi le manque de bras se fait-il sentir et dans la campagne et dans la ville, et ce ne sont que plaintes là-dessus à Buenos-Ayres. Mais peu importe au général Rosas, qui a besoin d’une armée et qui veut triompher à tout prix. Et non-seulement il a voulu avoir une armée, il a encore voulu avoir une flotte et l’a eue. Sans doute, les équipages étaient fort mauvais, novices à la mer et novices à la manœuvre ; les officiers eux-mêmes, aventuriers de toutes les nations pour la plupart, mercenaires sans être que très médiocres. Cependant, comme le chef inspirait confiance et comme tout plie devant l’énergique volonté du général Rosas, l’escadre de Buenos-Ayres a tenu la mer, a eu ses combats, ses succès, et a fait baisser pavillon aux forces navales de Montevideo, qui n’étaient ni mieux composées ni mieux commandées. L’amiral de Buenos-Ayres est un vieil Anglais appelé Brown, fort connu dans l’Amérique du Sud, dont le nom a fait souvent trembler les Espagnols et les Brésiliens, et qui est depuis trente ans au service de la République Argentine. Il a notoirement le cerveau dérangé, et l’on s’amuse de ses extravagances, ce qui n’a pas empêché le général Rosas de lui confier son escadre et lui de la bien mener.

Quoique la République Argentine, ou plutôt Buenos-Ayres, qui a suffi à tout, ait prodigieusement guerroyé sur terre et sur mer depuis l’année 1810, cette ville n’a aucun établissement d’instruction militaire ou navale. Pour la plupart des officiers au service, la profession militaire n’est que le résultat des circonstances et une situation provisoire, au lieu d’être une carrière sérieuse et honorée. Ce n’est pas qu’il n’y ait encore à Buenos-Ayres quelques généraux qui, ayant