Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/409

Cette page a été validée par deux contributeurs.
403
LITTÉRATURE ANGLAISE.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

confiance, fils de l’Égypte. Nous traversâmes, le cheval, la vieille et moi, une cour d’honneur, et nous nous trouvâmes devant la porte de l’écurie. — Mais il fait noir comme dans un four, la mère, et cette écurie ressemble à un puits. Apportez de la lumière, ou je n’entre pas. — Fils de l’Égypte, il ne faut pas avoir peur. Donnez-moi la solabarri (bride), je connais les êtres, je conduirai le gras à sa mangeoire, et je le panserai. Quelques minutes après, elle ressortit en s’écriant : — Il est en bonne santé, il s’est secoué (grasti terelando) ; le voyage ne lui a pas fait de mal. C’était pour la vieille un symptôme certain de santé que le tressaillement du cheval après le voyage. »

Il pénètre ensuite dans la chambre d’honneur de la bohémienne, vieille salle mauresque dilapidée, avec un brasero dans un poêlon, brillant au fond d’une alcôve, et des tronçons de colonnes arabes pour chaises et pour escabeaux. Deux personnes, un jeune homme et une jeune femme, étaient accroupis devant le brasero. « Mère des gypsies, dit Borrow à la vieille en faisant rouler du côté du brasero un fragment de pilastre, voilà une belle habitation. — Mérida est pleine de ces maisons-là, répondit-elle, et qui sont encore dans l’état où les Korahanis (Maures) les ont laissées. C’étaient de braves gens que ces Korahanis ! » Elle lui raconte ensuite toute sa vie, roman assez curieux, et finit par l’inviter à devenir le ro (mari) de sa seconde fille, ne doutant pas qu’il ne pût très bien, en sa qualité de romani (bohémien) dire le baji (la bonne aventure), hokkawar (voler) et s’acquitter des autres devoirs de la race.

C’est par l’intimité de ses relations avec tous les bandits et parias de la société espagnole que M. Borrow est parvenu à faire un livre tout-à-fait nouveau. Il a vu ce que personne ne pouvait voir. Non-seulement les zincalis, mais les juifs chrétiens, les débris mozarabes, les contrebandiers des côtes, les paysans de la Galice, sont décrits avec le même détail et la même simplicité. Une des scènes les plus amusantes de ce curieux livre, c’est celle où l’on voit un reporter anglais, ambassadeur de l’une des feuilles publiques de Londres, s’asseoir tranquillement avec M. Borrow dans une chambre de Madrid, la fenêtre ouverte, et suivre, la plume à la main, tous les mouvemens de l’émeute de la Granja. « Vos principes sont libéraux, dis-je à mon ami le reporter (ainsi s’exprime M. Borrow), et vos frères d’opinion courent le risque d’être battus. Que n’allez-vous les rejoindre et leur donner quelque honnête conseil ? — La large et spirituelle figure de mon ami se retourna vers moi, muette, mais riante