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jarras, à Cintra, Ceuta, Merida, sur les bords du Guadalquivir et du Douro, une cargaison de Bibles : les unes en arabe, les autres en langue bohémienne, non pas de Bohême, mais de l’Hindoustan (Hindie, Zincalie) ; cherchez, si vous l’osez, quelque bizarrerie plus étrange.

Nature vigoureuse, ame bien trempée, courage peu commun, curiosité ardente mêlée d’un goût vif pour les aventures et même pour les dangers, esprit polyglotte et qui a reçu en naissant le don des langues, M. Borrow sait le persan, l’arabe, l’allemand, le hollandais, le russe, le polonais, l’espagnol, le portugais, le suédois, l’irlandais, le norvégien et le vieux scandinave, sans compter le gaëlique, le kymri ou welche, le sanscrit et le zincali, idiome des bohémiens d’Europe (gypsies). C’est un homme athlétique, de trente-cinq à trente-six ans, l’œil noir et étincelant, le front déjà couvert d’une forêt de cheveux blancs précoces, et le teint olivâtre comme s’il appartenait originairement à cette race échappée de l’Inde, dont il a été le chroniqueur et l’ami. Né à Norfolk, il se trouva, dans son enfance, mêlé, on ne sait comment et lui-même ne le dit pas, aux gypsies, maréchaux-ferrans, diseurs et diseuses de bonne aventure, bateleurs, maquignons, marchands de vieux habits et truands d’Égypte, qui habitaient cette ville et les environs. De ces honorables instituteurs il reçut dès le jeune âge les premiers enseignemens de l’argot, les rudimens du langage zincali, et les recettes héréditaires relatives à l’élève des chevaux et à leur entretien. Parvenu à l’adolescence, il se rendit à Édimbourg, y suivit les cours de l’université, étudia diligemment l’hébreu, le grec et le latin, et fit de fréquentes excursions dans les montagnes (highlands) pour y apprendre à fond le gaëlique. Que devint-il ensuite ? On ne le sait pas. Il semait, disent ses amis, son mauvais grain, ou, comme on s’exprime en France, il jetait sa gourme. Quelques-uns prétendent que le turf et les occupations du jockey n’eurent pas de desservant plus zélé. Il acheta et vendit des chevaux, paria, gagna, perdit, et probablement courut à Newcastle ou à Derby. Cette portion de sa vie est restée dans l’ombre ; puis il reparaît, et nous le retrouvons tout à coup converti et engagé au service de la société biblique, compagnie organisée, comme on sait, pour la propagation de la Bible. Il court le monde, à cheval bien entendu, et répand sur sa route des Bibles par milliers. Quand il a vu l’Asie et l’Afrique, il lui semble que l’Espagne et le Portugal, ces deux vieux remparts du catholicisme, sont des pays tout neufs et curieux à visiter ; il s’y lance, la Bible