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que, s’il a vécu, nous ne possédons qu’une contrefaçon des chants homériques, une rapsodie des rapsodes, un amas de fragmens habilement recousus et tyranniquement arrangés sous les yeux et par les ordres du tyran Pisistrate. Cette théorie n’était pas tout-à-fait nouvelle, quoi qu’on en ait dit ; il paraît que les critiques de l’antiquité en avaient eu quelque pressentiment. Mais voici une autre découverte que ressuscite tout à coup la voix de l’ecclésiastique anglais. Homère est Hébreu, cela est sûr. Crœsius s’en était déjà douté ; Josué Barnes avait prouvé, il y a long-temps, l’identité d’Homère et de Salomon ; Omeros, lu à rebours selon la mode orientale, équivaut à Soremo ; grace à la figure de rhétorique nommée metalepsis, vous trouvez Solemo, et par conséquent Solomo ; Homère se confond avec Salomon et Salomon se perd dans Homère. En l’année 1655, un Italien, Jacobo Ugone, soutenait que la prise de Troie représente symboliquement la prise de Jérusalem. Ces inventions des savans sont admirables ; on voudrait être savant pour avoir le droit de les faire et de s’amuser gravement de soi-même et du public. Le commentaire du docteur Williams roule sur ce texte, qu’il a paré, habillé, brodé, renouvelé, rafraîchi et très éloquemment orné de métaphores et de preuves. Agamemnon n’est autre que Josué ; Hélène, c’est Rahab ; Nestor et Abraham ne font qu’un ; Pénélope est Sarah. Évidemment le roi-jardinier Alcinoüs figurait le bon Adam, notre commun père. Ne vous émerveillez-vous pas de ces analogies si bien trouvées, et Pitt n’avait-il pas raison quand il disait que, si l’analogie passait pour preuve, « on démontrerait facilement l’identité de l’église de saint Paul et d’un palmier d’Arabie ? »

Ce mysticisme anglican, qui, à force de lire et de commenter la Bible, n’aperçoit plus qu’elle dans Homère et dans l’algèbre, chez les Arabes et les Japonais, fait un peu rire l’Angleterre elle-même. C’est chose plaisante, en effet, de voir l’érudit archidiacre trouver dans l’Iliade un sermon calviniste en trois points et expliquer les mystères de la grace par la moralité du poème. Priam est un roi impénitent, qui aime l’iniquité, que Dieu abandonne, et que rien ne sanctifie. La terrible déesse Até, c’est Satan, ou le péché, qui visite Agamemnon et lui fait subir une expiation solennelle. Achille, au contraire, est un élu de Dieu. Il a péché, mais la grace descend sur lui ; la purification définitive lui est réservée, il sera régénéré et commencera une vie nouvelle. Par le procédé du docteur, rien de profane ne reste dans l’Iliade ; c’est une seconde Bible, un peu voilée seulement sous des allégories ; elle présente une série de sym-