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a long-temps pensé sa pensée, et que rien de frivole n’était capable de le satisfaire. C’est le livre le plus diamétralement opposé à la légèreté et à la facilité commune de l’intelligence.

Landor travaille très lentement, comme on peut le croire. Pas une de ses phrases qui ne soit sculptée curieusement, élaborée et retouchée cent fois ; la double fatigue d’une pensée méditative et d’une forme peu spontanée se communique au lecteur. De temps à autre, il ajoute à ses Conversations imaginaires une scène nouvelle, et son talent ne vieillit pas : c’est un malheur qui n’arrive qu’à ces génies à fleur de peau et à ces verves du premier âge, dont la jeune chaleur passe vite et emporte la gloire. Dans la dernière Conversation qu’il ait publiée, il place vis-à-vis l’un de l’autre Kotzebue et son assassin le jeune Sand, c’est-à-dire le type de la popularité servilement captée et facilement acquise, l’homme de lettres sans principes, sans cœur et sans style, faisant pour de l’argent tout ce qui concerne son état, Russe pour l’empereur de Russie, Allemand pour les Allemands, sentimental pour les femmes, philosophe pour les philosophes, espèce d’écho vulgaire et prétentieux de tous les vents qui soufflent, de tous les bruits qui passent, et ce malheureux fou Sand, le vengeur prétendu de l’Allemagne outragée, qui s’imaginait niaisement que Kotzebue était quelque chose, et qu’en le tuant il ferait le bonheur de son pays.

KOTZEBUE, à Sand.

Les lettres de recommandation que vous m’apportez ne vous attribuent qu’un défaut, c’est d’être jeune. Vous avez vécu jusqu’ici dans la retraite d’un collége, où vous vous êtes livré, me dit-on, à des études laborieuses et surtout à celle de la philosophie.

SAND.

Vous me désapprouvez ?

KOTZEBUE.

Qui vous désapprouverait ?

SAND.

Personne. Mais vous, qu’en pensez-vous, et qu’entendez-vous par philosophie ? Ne vous rejetez pas ainsi avec impatience sur le dos de votre fauteuil en cherchant à m’instruire auprès de vous, j’espère ne point vous blesser.

KOTZEBUE.

Jeune homme, qui dit philosophie dit la science de la vérité et du bonheur.

SAND.

Je ne vous comprends pas. Nous donne-t-elle la fortune, les emplois, le crédit, cette philosophie ? Empêche-t-elle le puissant de nous persécuter, le riche de nous fouler aux pieds, le pauvre de nous mépriser, nous et nos con-