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pour être européens, trop imbus du levain patriotique pour que le patriotisme étranger n’ait pas quelque droit d’en rire, procèdent avec largeur et sincérité. Quelques analogies le rapprochent de Goethe ; l’un et l’autre ont accompli tout ce qu’ils ont commencé ; leur mission intellectuelle, prise au sérieux et comme un noble devoir, a laissé des monumens. Goethe, conseiller d’état et homme de cour, a concilié les soins de l’étiquette avec la constance du labeur, et la pauvreté primitive de Southey ne l’a pas empêché de produire des œuvres belles et complètes.

Aux épines de cette pauvreté originelle et à l’ardeur d’une fantaisie sans cesse émue par de nouveaux objets et de nouveaux désirs se joignaient les obstacles que la violence intellectuelle de Southey faisait naître sur sa route. Il soulevait autour de lui la poussière et l’orage. D’un caractère excellent, il a été fort maltraité par tous les partis ; l’exagération sincère de ses opinions effrayait ou révoltait ceux que l’agrément et la sûreté de son commerce auraient séduits dans la vie privée. Byron l’a traité d’apostat, Thomas Moore l’a raillé, Walter Scott a eu peur de lui, Lamb, le doux Lamb, l’a querellé ; Coleridge et Wordsworth seuls lui sont restés fidèles. La discipline d’une étude savante lui a rapporté les notables bénéfices de l’ordre, de la concentration et de la fixité. Il a beaucoup gagné à la maturité de l’âge ; la sévérité des travaux l’a épuré et agrandi, comme l’ascétisme chrétien agit sur la fougue indomptée de certaines natures. Southey s’est calmé en se soumettant au régime des chroniques en prose, qu’il composait avec habileté, et même des compilations scientifiques, qui, sous sa main, prenaient un caractère de supériorité originale. Sa jeunesse avait aspiré à toutes les libertés de la pensée et de l’utopie sociale avec une passion presque effrénée ; ses élégies avaient été démoniaques et ses drames insurrectionnels ; il avait fait des poèmes épiques en vers libres et des histoires en vers alexandrins. Cette débauche l’avait assoupli sans le briser ; il avait gardé sa force mûrie.

Poète et érudit, doué d’imagination et de savoir, il a essayé tous les genres, le drame et le roman exceptés. Son Wat Tyler, dont on a fait tant de bruit en 1820, n’est qu’un pamphlet politique, divisé en scènes. Le talent de Southey se déployait avec avantage dans les formes vastes et souples de la narration historique ou épique. Trop passionné pour pénétrer les caractères humains dans la profondeur de leurs variétés, trop impatient pour se les assimiler ou les reproduire, il aurait abordé sans succès le théâtre ou le domaine du romancier. Dans ses mor-