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LES CHEMINS DE FER.

ont aujourd’hui. Les compagnies choisiraient la direction la puis profitable pour elles-mêmes, et par conséquent la plus naturelle ; elles traceraient les chemins de fer, non pas à travers les déserts et les montagnes, mais en suivant la pente des transports, en abordant les centres de population et d’industrie, et comme elles auraient après tout les risques de l’entreprise, on n’aurait pas le droit de peser sur leur détermination ou de la changer. Par là seraient évités, sinon les rivalités de ville à ville, tout au moins les conflits qui en naissent et qui troublent le pays.

Lorsque le gouvernement au contraire se pose, comme aujourd’hui, en entrepreneur de chemins de fer, et qu’il consacre à ces travaux les fonds de l’impôt prélevés sur les contributions de tous les départemens, chacun prétend en avoir sa part. On le tiraille de tous côtés, et de ces tiraillemens divers il résulte un équilibre forcé qui est l’inaction.

La création de grandes compagnies se consacrant à l’exécution des travaux publics aurait donc pour effet de mettre un terme aux misérables différends dont notre loi électorale est la source. Elle tendrait aussi à relever et à organiser en France l’esprit public. Ce qui fait, dans l’ordre politique comme dans l’ordre industriel, que nous restons livrés aux impressions du moment, qu’aucun parti durable ne se forme, qu’aucun principe ne descend pour y résider au fond des esprits, c’est que la surface entière du pays ne présente aucune agrégation d’hommes ni d’intérêts, et qu’en face de l’armée administrative et du clergé, deux hiérarchies dont les branches se ramifient partout, il n’existe que des individus isolés et sans lien entre eux. Dans un pareil état de choses, nous voyons bien les germes d’une dictature, mais nous n’apercevons pas les élémens de la liberté.

Les associations financières ou industrielles créeraient chacune sa clientelle, et tout le monde en France ne relèverait plus exclusivement du pouvoir. Il y aurait dans le pays des emplois qui ne seraient pas donnés par l’état ; les fonctions particulières deviendraient une carrière à côté des fonctions publiques, et l’émulation pourrait ainsi s’établir. Nous appelons de tous nos vœux le moment où la France comptera, dans l’ordre industriel, un certain nombre d’agglomérations puissantes. Organisées démocratiquement, c’est-à-dire par le mode électif, elles feront contrepoids à l’unité trop absorbante du gouvernement. Tout ce qui pourra favoriser l’avénement d’un pareil état de choses nous paraîtra un bien.


Léon Faucher.