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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

histoire que nous ne voulons et ne pouvons pas écrire, histoire dramatique, variée, souvent triste, quelquefois bouffonne, pauvre en résultats, qui attend et qui attendra long-temps encore une plume impartiale et sincère.

On sait déjà comment est bâtie la ville de Buenos-Ayres. Nous l’avons dit en parlant de Montevideo. Mais, à Buenos-Ayres, les quadres sont plus grandes. Elles ont cent cinquante vares ou cent trente mètres de côté ; par conséquent la profondeur normale des maisons excède celle des maisons de Montevideo. La ville entière a d’ailleurs, et peut-être à cause de cette circonstance, un aspect plus grandiose. C’est quelque chose, en son genre, comme Versailles et Nancy. Ses rues, qui sont généralement larges, mais pas encore assez pour leur longueur, parce qu’elles se prolongent à perte de vue, courent nord et sud, est et ouest, et se coupent à angles droits. Les maisons à étage sont en petit nombre, et elles n’en ont qu’un, ce qui fait que les rues ne manquent ni d’air, ni de jour. Construites avec quelques différences pourtant, sur le même plan que celles de Montevideo, les maisons à Buenos-Ayres sont généralement plus grandes, et l’on en compte beaucoup de vraiment belles. Mais toutes ne sont pas commodes, surtout les anciennes. Quoique l’usage des cheminées à grille pour brûler du charbon de terre se répande de plus en plus dans les classes riches de la population, il y a encore plus d’une maison qui n’en a point ou n’en a qu’une, et cependant il fait en hiver assez froid à Buenos-Ayres, pour que les étrangers non encore habitués au pays souffrent de ce défaut de comfort. Le brazero espagnol supplée, dans les maisons qui n’ont pas de cheminée, à cette partie si indispensable des nôtres, et, pour se garantir du froid, les femmes s’enveloppent de leurs châles, comme les hommes gardent leurs manteaux dans l’intérieur des habitations. Arrivé à Buenos-Ayres en hiver, nous fûmes très surpris de ne trouver ni cheminée ni brazero dans le salon dont la fille du général Rosas fait les honneurs avec une grace charmante. Mais, en été, ces grands salons bien aérés et qui donnent sur des cours intérieures très fraîches, sont excellens pour garantir de la chaleur, qui est quelquefois très forte.

La ville de Buenos-Ayres couvre un espace immense, et s’est prodigieusement accrue depuis une trentaine d’années. Elle n’a ni portes, ni barrières, ni enceinte marquée d’aucune espèce, et peut s’étendre librement de plusieurs côtés dans la campagne. Il faut dire toutefois que ses limites sont indiquées et presque atteintes au nord par la caserne du Retiro, et au midi par l’abaissement du plateau sur