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struction des chemins de Rouen et du Havre appartiennent à des capitalistes anglais. Les banquiers de Londres, de Manchester et de Liverpool ont pris part à la soumission qui a été acceptée pour la ligne du Nord, et à celle qui vient d’être adressée au ministre des travaux publics pour la ligne de Lyon. La maison Rotschild, qui porte le poids de la principale de ces opérations, est un établissement européen qui appelle et qui réunit les capitaux de Londres, de Francfort et de Paris.

La première compagnie sérieuse qui s’est présentée pour entrer dans le cadre de la loi, a sans contredit sauvé le gouvernement de l’impuissance et du ridicule. Ce jour-là, M. le ministre des travaux publics a dû éprouver une grande joie, car pour peu que l’industrie privée lui eût tenu rigueur, tous ces magnifiques projets, dont les chambres n’avaient pas craint d’étendre la portée, allaient misérablement avorter. Il aurait fallu que l’état construisît seul les chemins de fer, comme il a construit les routes, et comme il a tenté de construire les canaux. Et comment les chambres auraient-elles envisagé sans frémir une entreprise qui pouvait entraîner une dépense de 2 milliards avec trente années de travaux[1] ?

La part, que le gouvernement a réservée à l’industrie privée dans les projets soumis à la délibération des chambres est-elle ce que les circonstances exigeaient de lui ? En appliquant, pour la première fois le système général créé par la loi du 11 juin, de quel côté l’a-t-il fait pencher ? Les avantages que les compagnies ont obtenus sont-ils insuffisans, ou vont-ils au-delà de ce qui était juste et nécessaire ? Graves et difficiles questions dans l’examen desquelles on doit se garder également de la complaisance et de l’envie.

Et d’abord, il n’échappera pas à un observateur attentif que la force des choses a limité et circonscrit, pour ainsi dire, le champ d’opérations dans lequel la loi du 11 juin doit s’exécuter. Lorsque cette loi fut votée par la chambre des députés, M. le ministre des travaux publics prit l’engagement de ne commencer les travaux sur aucune ligne avant d’avoir trouvé une compagnie qui se chargeât de la com-

  1. M. Daru rappelle quelques exemples de la lenteur apportée par l’état dans l’exécution des travaux qu’il entreprend. Ainsi l’on a mis trente-cinq ans à construire le canal du Rhône au Rhin, trente-quatre ans à exécuter les canaux de Bretagne, cinquante-huit ans pour le canal du Nivernais, soixante-un ans pour le canal de Bourgogne, soixante-cinq ans pour le canal de la Somme, soixante-quatorze ans pour canaliser l’Ille et le Tarn. L’exécution du canal latéral à la Loire, le dernier entrepris, a duré vingt années, et il n’est pas terminé complètement.