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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

son prestige, le clergé demande de nouvelles lois répressives, et que les jésuites prétendent qu’ils ne sont tombés au XVIIIe siècle que parce qu’ils ont manqué d’appui et de protection. C’est là l’idée fixe de tous les pouvoirs déchus. Cependant à qui pourra-t-on faire croire un seul instant que les gens qui ont renversé Port-Royal et qui ont dirigé les dragonnades soient tombés par excès de modération ? C’est l’abus de la force qui les a perdus ; ce sont leurs emportemens, leurs colères, non moins que leur morale suspecte et leur hypocrisie proverbiale, qui deux fois déjà ont soulevé le pays contre eux, et qui produiraient nécessairement des effets analogues, si, par suite de quelque démonstration inconsidérée, la liberté de conscience paraissait de nouveau en péril.

Actuellement, monsieur, il n’est peut-être pas impossible de répondre à votre question. Oui, la tolérance religieuse, cette grande conquête de la révolution, est écrite dans nos lois, oui, les besoins de notre siècle en font une nécessité pour tout le monde. ; mais il existe un parti qui la repousse, et qui marche en aveugle à sa ruine avec une violence irrésistible. Ce parti tente de nous faire rétrograder au-delà de 1789 ; il dit à la France : « Craignez l’enfer, ou du moins craignez nos journaux. » C’est par la peur qu’il voudrait s’imposer. Le pays est sur ses gardes, et les jésuites auraient tort de croire que l’indifférence qu’on a montrée jusqu’ici est une marque d’assentiment.

Dans tout ceci, monsieur, je vous ai parlé du clergé français, et pourtant je sens bien que le véritable clergé n’écrit pas ainsi, et qu’il ne fait pas de l’agitation dans les journaux. C’est une faction qui parle en son nom, qui l’opprime et l’entraîne. Des ecclésiastiques respectables blâment ces violences, mais, craignant d’être attaqués dans les journaux de la congrégation, ils n’osent pas s’y opposer. Et cependant, que le clergé le sache bien, s’il n’a pas la force de se séparer des jésuites, il se perdra avec eux. Qu’il ne se fie pas à leur réputation d’habileté. En formant Voltaire et Diderot, ils ont prouvé à l’église que cette réputation était complètement usurpée. Si, brisant avec courage les indignes liens qui le retiennent, il sait reconquérir sa liberté, le clergé retrouvera une force nouvelle. Qu’il se montre donc sincèrement attaché à nos institutions et à nos lois, qu’il repousse les suggestions étrangères, qu’enfin il redevienne gallican, et il obtiendra l’assentiment du pays. Les tentatives sérieuses qu’il fera pour rétablir la morale sans toucher à la liberté de conscience seront appuyées par les hommes de tous les partis, car la