Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.
354
REVUE DES DEUX MONDES.

et qu’on pare ainsi de fleurs et de jeunes femmes. Excepté un très petit nombre de curés, le clergé, qui veut attirer du monde, se précipite en masse dans la même voie ; mais souvent l’argent manque et voilà ce qui arrête le bon vouloir qu’on aurait : d’ailleurs, il ne serait pas bien facile de chauffer des églises comme Notre-Dame. Les églises les mieux parées et les plus coquettes se trouvent dans les quartiers les plus riches et les plus élégans, dans ces quartiers « où (ce sont les paroles aimables des journaux de la congrégation) les engraissés du jeu, de la fraude et de la débauche établissent de préférence leur séjour. » Avec de telles églises et de si excellens paroissiens, on ne comprend pas, en vérité, comment le feu du ciel n’est pas encore descendu sur la Chaussée-d’Antin.

Le clergé déplore sans cesse le relâchement de la morale. Ses journaux reproduisent avec une singulière affectation les nouvelles de tous les crimes, de tous les scandales, vrais ou supposés, qui se commettent en France. Là-dessus grandes déclamations sur les calamités du temps ! À quoi bon se plaindre ? Pourquoi le clergé ne montre-t-il pas cette puissance qu’il s’attribue en amenant tout à coup une grande diminution dans le nombre de ces crimes ? Il y a de mauvaises actions contre lesquelles les lois ne peuvent rien : c’est à la religion de les empêcher, si elle conserve encore quelque empire. Le mois dernier, deux malheureux ont expié à la barrière Saint-Jacques les crimes qu’ils avaient commis. C’était le lendemain de la mi-carême, jour où les masques se montrent de nouveau dans Paris. Cette année, par un beau soleil, les masques avaient abondé. Eh bien ! dans la foule qui assistait à cette exécution, il y avait deux ou trois cents individus masqués, hommes, femmes et enfans ! C’est là sans doute le spectacle le plus hideux que l’on puisse imaginer ; mais que peut-on faire pour empêcher le retour de telles énormités ? Le gouvernement présentera-t-il une loi aux chambres pour défendre désormais aux masques d’aller voir exécuter les assassins ? Si la religion n’a pas d’action là où les lois se taisent, si elle est réduite à l’impuissance, on ne doit plus appeler infamies et calomniateurs ceux qui pensent, avec Jouffroy, qu’elle n’a plus d’ascendant moral sur la société. D’ailleurs, cette religion a-t-elle empêché le peuple de démolir l’archevêché et Saint-Germain l’Auxerrois ? Nous repoussons avec horreur toutes les dévastations ; mais, qu’on y prenne garde, ces manifestations populaires ne furent qu’une réaction naturelle et fatale contre l’intolérance du clergé pendant la restauration.

Je sais bien que, pour rendre à la religion toute son action, tout