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par le milieu et surmontée à cet endroit d’une construction à jour, mais qui menace ruine, dont l’effet est assez pittoresque. Cette galerie, qui laisse un large passage à droite et à gauche, ne ferme donc pas exactement la place du fort, mais sépare en deux un espace qui, sans elle, ne formerait qu’une seule place, figurant alors un carré long. De l’autre côté, on trouve la place de la Victoire ou du Cabildo, qui est plus régulière, et au milieu de laquelle s’élève une espèce de petit obélisque. Six des principales rues de Buenos-Ayres débouchent sur cette place, aux quatre coins. Les quatre côtés sont occupés, celui du midi, par une galerie couverte en arceaux, garnie de boutiques : c’est le Palais-Royal de Buenos-Ayres ; celui de l’ouest, par la prison, horrible séjour souvent ensanglanté par le meurtre des malheureux que l’on y entasse, par le Cabildo ou hôtel-de-ville, et par la police ; au nord s’élève la cathédrale, belle et noble église, à l’intérieur simple et bien tenue, monument de bon goût à tout prendre, mais copie avouée et un peu mesquine de l’église Sainte-Geneviève de Paris ; enfin le côté de l’est est le verso de la galerie dont nous avons parlé plus haut, ou Recoba vieja. Nous ne dirons pas que cet ensemble est admirable : les lignes architecturales manquent de grandeur, d’harmonie et de pureté ; mais par un beau soleil, ou mieux encore par un beau clair de lune en été, la place de la Victoire a son charme. À l’extrémité de la galerie que nous avons appelée le Palais-Royal de Buenos-Ayres, est une maison de magnifique apparence, éclatante de blancheur, et le joli clocher de l’église de San Francisco, qui fait pour ainsi dire pendant au dôme de la cathédrale, ajoute à l’effet de la scène. Malheureusement l’affreuse prison, surmontée du bonnet phrygien, si nos souvenirs ne nous trompent pas, comme pour faire de l’emblème de la liberté une amère dérision, dérange bien vite la rêverie du poète ou de l’artiste, et ramène brusquement la pensée vers la terre.

Les deux places de la Victoire et du Fort ou 25 mai ont été le théâtre de grands évènemens. Elles figurent dans la lutte héroïque du peuple de Buenos-Ayres contre les Anglais, dans ses glorieux efforts pour chasser les conquérans, déjà maîtres de la ville depuis six semaines, et pour repousser des envahisseurs. Plus tard, l’indépendance y a trouvé son berceau ; puis toutes les agitations d’une liberté orageuse, et tous les mouvemens d’une longue anarchie, ont eu leur point de départ, sont venus expirer ou faire consacrer leur succès éphémère entre l’ancien palais des vice-rois et le Cabildo, foyer d’une vie municipale aujourd’hui éteinte. Mais c’est là une