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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

sert. On fait profession de christianisme à propos de tout. L’architecture gothique, les vitraux du moyen-âge, le plain-chant, les manuscrits à miniatures, sont autant de sources où l’on va puiser l’inspiration religieuse. On devient chrétien par mode et par imitation, et comme le clergé s’efforce de rendre commodes et agréables les églises, qu’il les chauffe, qu’il y fait jouer des airs de valse, qu’il y appelle de jolies dames et de bons chanteurs, il parvient à réunir les dimanches, dans les églises les plus à la mode, deux ou trois cents personnes qui se donnent là rendez-vous pour se rendre ensuite, suivant la saison, au Conservatoire ou à Longchamp. On a déjà vu le même spectacle, il y a quelques années, dans l’église saint-simonienne. Ne croyez pas, monsieur, que j’exagère ; ces remarques ont déjà été faites par M. Lemoinne, jeune et spirituel écrivain, qui, ayant raconté dans les Débats ce qu’il avait vu dans les églises de ces néo-chrétiens qui attaquaient si violemment les épicuriens et les sceptiques, s’attira cette singulière réponse qui parut dans l’Univers : « Ces griefs, disait ce journal, sont autant de calomnies ; il y a, nous le savons, dans Paris, deux ou trois églises dorées, chauffées, tapissées : ce sont, à ce qu’il paraît, les seules où vous alliez, probablement, dans le dessein d’y admirer les actrices dont vous chantez les louanges. Il y a dans ces églises, deux ou trois fois par an, des solennités vraiment sacriléges, les seules, à ce qu’il paraît, que vous daigniez honorer de votre présence, parce qu’on y entend la belle voix de vos chanteurs ; il y a deux ou trois prêtres qui, comptant parmi vous des parens ou des amis, ont la faiblesse de souffrir, sans réclamation, vos impertinentes réclames[1], et ce sont aussi les seuls, à ce qu’il paraît, dont la parole ait la vertu de vous attirer ; il y a aussi, nous en convenons, quelques jeunes gens néo-chrétiens comme vous qui parlent de philosophie, de morale et de religion en hommes du monde. »

Il ne manque ici que le nom de ces églises dont parle l’Univers ; car, comme il y a dans Paris à peu près une église pour trente mille habitans, il est en vérité fort peu charitable d’exposer une centaine de mille personnes à aller se damner ainsi dans ces deux ou trois églises où il se commet de tels sacriléges. Du reste, l’Univers se trompe : ce ne sont pas seulement deux ou trois églises qu’on chauffe

  1. M. Lemoinne avait dit qu’après le sermon les prédicateurs allaient lui demander de les annoncer dans le Journal des Débats. (L’Univers du 22 décembre 1841)