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de semblables considérans, pour être certain de réunir toutes les opinions… contre lui.

Non-seulement le clergé ne reconnaît pas que notre droit commun date de 1789, mais il essaie de remonter encore plus haut, et il élève des prétentions auxquelles personne n’aurait sérieusement songé il y a soixante ans. Il demande qu’on oblige tous les marchands à fermer leurs magasins les dimanches, et il veut, ce qui n’est pas moins singulier, qu’on force tous les employés sans exception à aller à la messe chaque jour. Si la loi du sacrilége n’eût pas été abolie après 1830, il en demanderait aussi la stricte exécution.

On ne sait en vérité ce qu’est devenue cette liberté, cette tolérance qui, suivant des promesses si souvent renouvelées, devait s’allier à la religion. Ce n’est pas en provoquant des révolutions, c’est en respectant d’abord les lois existantes, que le clergé assurera la liberté. La tolérance, c’est la charité, et à cet égard vous ne sauriez imaginer, monsieur, comment le parti jésuitique définit la charité. Lorsque des écrivains que, suivant l’usage, on avait injuriés et taxés d’immoralité ont répondu : Quoi ! vous êtes dévots, et vous vous emportez ! les champions du clergé ont répliqué que sans doute, dans les affaires personnelles, la charité prescrivait le pardon des injures, mais que, quand il s’agissait des intérêts de la religion, la charité[1] commandait la violence et la persécution. Vous voyez que les distinguo, si plaisamment signalés par l’incomparable auteur des Provinciales, se sont perpétués jusqu’à nous, et que, si Pascal revenait au monde, il saurait encore exciter la gaieté aux dépens des modernes Escobar. Cette distinction est bien subtile et bien peu rassurante, car les personnes qui l’emploient paraissent voir partout les intérêts de la religion, et il est impossible de ne pas supposer que cette charité persécutrice s’exerce aussi parfois dans un intérêt mondain, lorsqu’on voit des journaux qui prétendent tous défendre également les droits de l’autel échanger les injures les plus grossières, et la Gazette de France[2], dirigée par un ecclésiastique, menacer l’Univers de le traîner pour calomnie en police correctionnelle. Il faut avouer qu’entre gens si pieux le procédé est assez violent. Il vous étonnera moins, si vous vous rappelez ce que j’ai dit plus haut au sujet de la prohibition de la Gazette de France dans les états ro-

  1. Voyez à ce propos, dans l’Univers du 21 décembre 1841, un article où le rédacteur, parodiant la fraternité chrétienne, appelle son adversaire frère reptile.
  2. Lisez l’Univers du 8 décembre 1841.