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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

mais d’abord il faut remarquer que peut-être Voltaire aurait montré plus de respect pour cette femme héroïque, si le clergé lui en avait donné l’exemple, et s’il n’avait vu l’évêque de Beauvais, s’associant aux rancunes des étrangers, employer les moyens les plus odieux pour la faire périr sur un bûcher. D’ailleurs, si Voltaire a pu rire beaucoup, on ne doit pas oublier qu’il sut aussi parler sérieusement, et qu’il honora sa vieillesse en élevant courageusement la voix en faveur de Calas, de Sirven, et d’autres victimes du fanatisme. De son temps, on punissait encore par d’affreux supplices le crime d’irréligion… les temps ont bien changé, mais les intentions sont les mêmes, et il n’y a pas vingt ans que le parti jésuitique arrachait à la chambre cette loi funeste qui livrait au bourreau l’homme qui avait commis un sacrilége.

Le néo-christianisme, disait-on, devait vivre et prospérer au milieu de nos lois ; il devait être le gardien de l’ordre et assurer le développement de la liberté. On sait maintenant à quoi s’en tenir au sujet de ces promesses. Lisez, monsieur, les écrits qui émanent du clergé, vous verrez que tout en usant largement des droits que lui accordent nos lois, et même de cette liberté de la presse qu’il appelle un poison[1], il ne cesse de protester contre le droit commun. On dirait que la charte n’existe que pour assurer son impunité : quand il s’agit d’étendre ses priviléges, le clergé cite sans cesse le droit divin[2], les canons et le concile de Trente[3] ; il cite même des autorités moins respectables, et, pour donner une leçon à M. Villemain, M. l’évêque de Chartres n’a pas craint d’invoquer l’exemple des Goths et celui d’Attila[4]. Ce sont, par le temps qu’il court, d’étranges autorités que le concile de Trente et Attila ! M. Villemain n’aurait qu’à présenter une loi sur la liberté de l’enseignement en s’appuyant sur

  1. On peut voir à cet égard un article de l’Espérance de Nancy, reproduit le 25 décembre 1841 par l’Univers. Il est très curieux d’entendre des hommes qui ne font autre chose qu’écrire avec violence dans les journaux, déclamer contre la liberté de la presse.
  2. « Quelle part, dit le Monopole universitaire, p. 13, donne-t-elle (cette présentation) aux évêques dans l’institution elle-même ? la révocation, la suspension ou l’enseignement des professeurs ? toutes choses pourtant qui leur appartiennent de droit divin, qu’on ne peut leur enlever, et dont ils ne peuvent se départir. »
  3. Voyez la Protestation de l’épiscopat français, p. 69, 110, 111, etc.
  4. Ibid., p. 43. Quant à l’archevêque d’Avignon, il cite (p. 112) le shah de Perse et le Grand Turc à l’appui des méthodes employées dans les petits séminaires et des garanties qu’offrent les évêques !