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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

n’est plus, ou espérer un avenir qui n’est pas encore ; mais c’est tout. Les arbres dépérissent, les bancs de pierre se dégradent, le sol se creuse ou s’exhausse au hasard, des décombres s’y entassent, et tout indique l’abandon le plus complet. Le dimanche, néanmoins, on y va faute de mieux, et la population se répand sur le bord verdoyant de la rivière, parmi les trous pleins d’une eau sale, autour desquels viennent tous les jours s’accroupir les blanchisseuses. De là on monte dans la ville, et l’on y est en un instant. Nous avons pris sur la gauche du point où l’on débarque, et nous voilà sur une grande place entre le fort et ce qu’on appelle la Recoba Vieja. Donnons-en une idée.

Le fort est un édifice assez régulièrement construit comme citadelle, et passablement entretenu, mais qui ne résisterait pas vingt-quatre heures à une attaque sérieuse du côté du fleuve, aujourd’hui que les batteries flottantes ont reçu de si grands perfectionnemens. L’intérieur ne présente sur la première cour qu’un assemblage irrégulier et disgracieux de constructions sans élégance et sans grandeur. C’était, comme nous l’avons dit, l’ancien palais des vice-rois ; la plupart des chefs du gouvernement indépendant de Buenos-Ayres y ont résidé depuis 1810 jusqu’en 1835 ; mais depuis cette époque, c’est-à-dire depuis le commencement de la seconde administration du général Rosas, le fort est exclusivement occupé par les bureaux des ministères et par les archives. Il ne sert plus même aux réceptions d’apparat ; le gouverneur ne s’y rend jamais pour travailler, et le ministre des affaires étrangères lui-même ne travaille que chez lui. Les appartemens, qui sont assez vastes et bien distribués, restent à peu près démeublés, et dépérissent faute de soin et d’entretien. Le général Lopez, gouverneur de Santa-Fé, y fut reçu en 1837, lors du voyage qu’il fit à Buenos-Ayres, et, en novembre 1840, après le rétablissement de la paix avec la France, M. l’amiral de Mackau, M. l’amiral Dupotet et les officiers qui les accompagnaient, y trouvèrent une hospitalité convenable. Il est à regretter que le genre de vie et les habitudes du général Rosas lui aient fait abandonner la résidence du fort. Ce n’est pas chez lui simplicité républicaine, mais orgueil ; ce n’est pas éloignement pour la représentation, mais bizarrerie d’humeur, singularité native et systématique, invincible répugnance pour les obligations ordinaires d’une grande existence convenable au rang qu’il occupe, et digne sans ridicule étiquette comme sans faste ruineux.

Vis-à-vis du fort est une galerie, à double rang d’arceaux, ouverte