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comme il peut aussi franchir la distance en quinze ou dix-huit heures. S’il tire plus de neuf ou dix pieds d’eau, il mouille en dehors du banc ou des balises intérieures, à quatre milles du quai. Les corvettes de guerre et les grands bricks ne peuvent pas jeter l’ancre plus près ; les frégates, quand elles se hasardent à remonter jusqu’à Buenos-Ayres, se tiennent encore bien plus loin.

À une certaine distance de la terre, l’aspect de Buenos-Ayres n’est pas désagréable. La ville s’élève sur un plateau qui va mourir à gauche dans les plaines basses et marécageuses du Riachuelo, et qui s’étend à droite un peu plus loin sur la route de San-Isidro. Pour entrer dans la ville, il faut de tous côtés gravir une petite éminence ou barranca, au pied de laquelle se trouve le quai ou môle ; mais toute la ville est en plaine, sauf quelques faibles ondulations du terrain. Un grand nombre de clochers, d’une blancheur éclatante avec des encadremens rouges, le dôme de la cathédrale, le solide édifice de la Residencia, qui était l’ancienne maison des jésuites, la jolie caserne de Retiro avec ses galeries, la coquette maison du ministre brésilien, des miradores élégans, quelques arbres pour rafraîchir la vue, puis, à l’extrémité de la ville, sur la droite, une ligne de belles maisons de campagne, au milieu de grands jardins, tel est en gros l’ensemble qui frappe les yeux et qui séduit assez avant de descendre à terre. Si nous ne parlons pas du fort, ancien palais des vice-rois, dont les murailles, garnies de quelques canons, sont souvent battues par les eaux du fleuve, c’est qu’il n’a rien de pittoresque et n’éveille ni l’idée de la force, ni le sentiment de la grace. Mais, à mesure qu’on se rapproche de la terre, une partie du charme s’évanouit et bientôt, quand on passe du canot sur la grossière et lourde charrette qui doit compléter le débarquement du voyageur, tout se perd dans la sensation désagréable que lui font éprouver les cahots de cet informe et incommode véhicule, les éclaboussures des chevaux, la mise et l’accoutrement sauvages du conducteur. Il est vraiment honteux pour Buenos-Ayres, et très fâcheux pour son commerce, qu’il n’y ait pas d’autre mode de débarquement comme d’embarquement pour les hommes et les marchandises, que ces charrettes primitives sur lesquelles on ne grimpe pas sans danger, et dont l’emploi est fort dispendieux.

On pourrait faire une belle promenade sur le quai ou muelle, qui reçoit le voyageur au sortir de la triste charrette qu’il a été si heureux de quitter. L’intention existe, ce semble ; un ou deux bancs de pierre, une douzaine d’arbres alignés, font supposer un passé qui