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tombe dans une grande perplexité. L’histoire peut-être nous donnera le moyen de dissiper cette incertitude ; souffrez que j’entre à cet égard dans quelques détails. Lorsqu’on suit l’affaiblissement graduel de l’influence du clergé français, si puissant, si vénéré dans les anciens temps de la monarchie, on ne saurait s’empêcher de reconnaître que c’est surtout pour avoir à plusieurs reprises blessé le sentiment national, pour avoir trop souvent reçu des inspirations ultramontaines, qu’il a vu décliner son autorité. Dans la grande lutte de la France contre l’Angleterre, le clergé assista avec froideur à la délivrance de la patrie ; parfois même il prit parti pour l’étranger. Dirigé au XVIe siècle par la cour de Rome, après avoir chanté des hymnes de grace pour la Saint-Barthélemi, il fit la ligue et bouleversa la France pour servir les projets de Philippe II. Vaincu d’abord par Henri IV, le parti ultramontain reparut bientôt ; il s’allia avec la royauté pour abattre Port-Royal, et pour établir que les maximes de Sanchez et de Molina étaient préférables à la morale d’Arnauld et de Pascal. Les mœurs du cardinal Dubois, les turpitudes des abbés du temps de Louis XV, ne tardèrent pas à venger dans l’opinion de la France ces illustres victimes, et le fouet sanglant de Voltaire livra leurs persécuteurs à la risée du monde entier.

À cette époque, l’Europe suivait avec un intérêt croissant les efforts de la France pour l’émancipation de la pensée : en adoptant les idées de nos grands écrivains, les peuples devenaient nos alliés et presque nos tributaires. Le gouvernement tentait en vain de sévir contre les ouvrages les plus audacieux ; à l’arrêt qui livrait l’Émile au bourreau, la France répondait en entourant Rousseau d’admiration, et le pape lui-même, entraîné par l’enthousiasme universel, recevait la dédicace de la plus hardie des tragédies de Voltaire. Si l’intolérance était encore dans les lois, les mœurs, plus fortes qu’elles, protégeaient efficacement la liberté des écrivains.

Malgré l’appui qu’il avait pu donner dans des temps de troubles à l’Angleterre ou à l’Espagne, le clergé aurait rétabli son autorité, s’il avait montré un sincère attachement pour les anciennes libertés de l’église gallicane, et s’il avait prouvé que, tout en respectant le chef de la religion, il savait rester Français. Mais les concessions que, depuis surtout l’établissement des jésuites en France, le clergé ne cessa de faire à la cour de Rome, éloignèrent de lui des hommes sincèrement religieux, qui s’en prirent d’abord aux disciples de saint Ignace, et qui, sans le vouloir peut-être, portèrent en même