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encore pour les encourager. Au lieu de contenir les mauvais instincts, elle les provoque. Elle s’épuise en publications pittoresques, en réimpressions insignifiantes, en éditions incorrectes, en traductions inutiles. Partout l’illustration étale ses ornemens frivoles, et on a non-seulement des livres, mais des journaux illustrés. À voir ce débordement d’images, on dirait vraiment que la librairie n’a affaire qu’à une société de femmes et d’enfans. Son véritable intérêt devrait cependant lui tracer un autre rôle. Il y a quelques années, elle avait eu une idée qui pouvait devenir féconde. Nous voulons parler de bibliothèques choisies. Malheureusement, détournées de leur but, ces entreprises n’ont pas tenu leurs promesses. Les deux plus importantes, la Bibliothèque d’élite de M. Gosselin et la Bibliothèque Charpentier, sont loin de remplir leur programme. La première admet tout sans examen ; la seconde s’ouvre à des réimpressions dont la plupart ont peu d’intérêt, et à des traductions très imparfaites d’œuvres déjà connues. C’est ainsi qu’on a retraduit Sterne, Fielding, tandis que nous attendons encore une bonne traduction de Moore, et que de grands poètes étrangers, en Angleterre Wordsworth, en Allemagne Tieck, en Italie Leopardi, sont encore inconnus pour ceux qui ne peuvent lire l’original. Cependant, au lieu de combler ces lacunes, l’éditeur de cette dernière bibliothèque publie une édition avec gravures d’un livre qui semblait devoir être protégé contre l’illustration par son caractère d’intime et discrète confidence, les Prisons de Silvio Pellico. Et comme si ce n’était pas trop déjà d’une édition illustrée des Prisons, cette tentative malheureuse a trouvé un imitateur ou un devancier, comme on voudra. Ce n’est pas le premier exemple, au reste, que donne notre librairie de ces ridicules concurrences. Elle ne brille guère par les idées et les lumières, et, comme les sociétés en décadence, elle se plaît à entretenir dans son sein la guerre civile, qui lui enlève ses dernières forces. Voilà donc deux éditions illustrées des Prisons, l’une ornée de gravures sur bois, l’autre de gravures sur acier, toutes deux d’une exécution matérielle fort médiocre. Nous ne dirons rien des tristes dessins, des scènes vulgaires que l’illustration a tirés du livre de Silvio, du vernis de mélodrame qu’elle a répandu sur ces simples pages. Ce qu’il faut surtout déplorer, c’est la tendance que ces publications révèlent. Pourquoi l’éditeur d’un de ces livres illustrés ne s’efforce-t-il pas plutôt d’enrichir sa bibliothèque de traductions vraiment nouvelles d’ouvrages étrangers peu connus en France ? En présence de notre situation littéraire, il y aurait pour la librairie plus d’une chose utile à tenter, plus d’une voie féconde à suivre ; mais que penser de nos éditeurs, quand on les voit renoncer aux sages entreprises pour d’aussi étranges spéculations ?


— Les romans chinois en valent vraiment d’autres : s’ils n’ont pas ce qu’on pourrait nommer le fracas mélodramatique, cet art qui sait donner le soubresaut final au lecteur, et ramener périodiquement l’intérêt à l’endroit précis où le chapitre (c’est-à-dire le feuilleton) se termine, on y retrouve au moins des détails naïfs, des sentimens simples, une morale honnête, à peu près tout