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REVUE. — CHRONIQUE.

du clocher de son village. Le ministère est appelé à en faire bientôt une dangereuse expérience. Indépendamment de la loi des sucres, au sacrifice de laquelle il paraît à peu près résigné, il est à croire que le projet porté par M. le ministre des travaux publics pour la concession du chemin de fer du nord rencontrera les plus sérieuses objections. La discussion des bureaux l’a déjà fait pressentir, et il est difficile de penser que l’instinct auquel a cédé la chambre, en rejetant le projet d’emprunt pour la Teste, ne la fasse pas reculer devant les conditions du bail passé avec la compagnie anglo-française.

On sait que le bail provisoire dont l’homologation est réclamée contient les stipulations suivantes, qui sont la première application du système formulé dans la loi du 11 juin 1842. — Chaussée, stations et travaux d’art, à la charge de l’état, qui doit acquitter également le prix des terrains, sauf son recours pour les deux tiers contre les départemens et les communes intéressées ; — concession gratuite durant une période de quarante ans, à la compagnie, de tous les péages à percevoir sur la ligne ; réduction à deux catégories des trois espèces de wagons en usage aujourd’hui sur nos chemins français, ce qui obligera par le fait la plupart des voyageurs à monter dans les diligences au prix de 9 centimes par kilomètre, pour éviter les chariots découverts ; — remboursement à dire d’experts après les quarante ans de jouissance gratuite de la valeur des rails et du mobilier d’exploitation.

Ainsi l’état débourse une somme actuelle d’environ 100 millions que coûteront les terrassemens et travaux d’art sur le chemin de Bruxelles, avec la double bifurcation sur Calais et sur Dunkerque, et il reçoit de la compagnie un concours de 60 millions, sur lesquels moitié environ devront être remboursés à la fin du bail. Pour cette somme de 60 millions, il abandonne à la compagnie, sans nulle réserve, tous les produits du chemin de Belgique et d’Angleterre, c’est-à-dire de la communication la plus fréquentée de la France, pour ne pas dire de l’Europe. Or, la chambre se trouvera ici en présence de chiffres et de documens d’une haute gravité : elle aura sous les yeux les calculs même de M. Stephenson, l’agent de la compagnie, qui ne porte pas à moins de 21,126,959 francs par année le chiffre de la recette probable sur ce chemin, même avec le tarif d’Orléans, inférieur à celui qui est concédé à la compagnie du nord. En estimant à 50 pour 100 des recettes brutes les frais d’administration, de traction et d’entretien, le chiffre des bénéfices nets à réaliser par la compagnie n’en resterait pas moins fixé à plus de 10 millions par an, intérêt qui pourrait bien être trouvé par trop usuraire.

Dans une pareille situation, et en face d’un bénéfice mathématiquement assuré, il est difficile d’expliquer pourquoi l’état, au lieu d’affecter 100 millions au chemin du nord, n’emprunterait pas 60 millions de plus, qu’il ne lui serait pas plus difficile d’obtenir d’une compagnie financière à titre d’emprunt qu’à titre de subvention spéciale ; il serait ainsi complètement maître de la ligne la plus importante du royaume, et retirerait de ses capitaux des bénéfices gratuitement concédés pendant une période de quarante ans.

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