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malheur d’être battue, accident dont elle est coutumière ; elle s’est encore vue comme abandonnée par le centre gauche, au profit et sur l’insistance duquel elle avait consenti à s’effacer à ce point. Cette partie notable de l’opposition refusant en quelque sorte le combat, évitant la tribune avec autant de soin qu’elle en mettait naguère à y monter, a laissé la gauche en butte aux reproches des opinions ardentes, aux excitations des hommes excentriques, et n’ayant rien, pas même un demi-succès, pour se consoler de ses sacrifices.

Un mouvement naturel à prévoir a dû s’opérer alors au sein de ce parti. Les esprits les plus absolus, les moins touchés du côté pratique des choses, ont pu, avec une assez spécieuse apparence, accuser cette modération, que les évènemens ont rendue stérile ; ils ont réclamé de la gauche un retour à l’énergie de ses principes, à l’ardeur de ses vieilles conviction. Mais il n’est pas plus donné aux partis de reprendre leurs passions et de retourner vers leur passé qu’aux fleuves de remonter à leur source, qu’à l’âge mûr de retrouver la verdeur de la jeunesse. De tels efforts n’aboutissent d’ordinaire qu’à montrer de plus en plus la foi qui se retire et l’ardeur qui s’éteint. C’est de cette loi générale que la gauche a subi l’empire. C’est là ce qui explique également la mollesse avec laquelle a été soutenue la proposition de M. Barrot, et l’éclatant échec que cette tentative a provoqué.

La législation de septembre 1835 a sans doute été un fait considérable, son établissement a soulevé de vives passions et prêté à de nombreuses critiques de détail ; mais ce fait est aujourd’hui accepté sans résistance par le pays tout entier, et l’on espérerait en vain le tirer de son indifférence, ou, si l’on veut, de son apathie, en lui parlant de la définition de l’attentat. De telles questions ont pu servir à couvrir certaines positions parlementaires, à ménager certains antécédens et certains amours-propres, mais elles touchent trop peu d’intérêts pour qu’il soit possible de descendre par elles jusqu’au cœur même de la nation. M. Barrot n’a donc pas trouvé au dehors une compensation pour l’échec que lui ont infligé les bureaux de la chambre, et l’effort essayé par la gauche pour se reconstituer sur son ancien terrain a visiblement avorté dans l’opinion aussi bien que dans le parlement. Placée entre l’indifférence publique, la systématique réserve du centre gauche, et les témérités novatrices de M. de Lamartine, dans quelle voie l’opposition s’engagera-t-elle ? C’est là un problème qui est encore bien loin d’être résolu pour elle-même.

Depuis l’ouverture de la session, les bons esprits avaient entrevu que le point d’attaque vraiment sérieux contre le cabinet gisait surtout dans les questions d’affaires. Les convictions individuelles, si affaiblies et si tièdes quant aux principes, se montrent par cela même plus intraitables dans tout ce qui touche aux intérêts matériels, et tel député des centres qui donnera un blanc-seing au pouvoir pour tout ce qui concerne l’esprit général de la politique et les rapports de la France avec l’Europe, ne lui sacrifiera pas une idée économique ou financière éclose dans son étude de notaire et développée à l’ombre