Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
REVUE DES DEUX MONDES.

plume de l’écrivain, à plus forte raison lorsque cet écrivain est étranger, n’a rien à voir. Si, comme on l’a prétendu, M. Berlioz voyage en Allemagne par ordre du ministre de l’instruction publique, nous demanderons de quelle utilité il peut être pour les progrès de la musique en France que la symphonie d’Harold soit applaudie ou sifflée à Berlin, et que signifie une semblable mission, à moins qu’elle n’ait eu pour but secret de conquérir à notre pays le bâton de mesure de M. Mendelsohn-Bartholdy ?

Nous ne terminerons pas sans dire un mot d’une fondation toute méritante et faite pour intéresser au plus haut point le dilettantisme éclairé, Il vient de se former dans le monde, et sous la présidence de M. le prince de la Moskowa, une association ayant pour but de mettre en lumière les chefs-d’œuvre, fort ignorés encore chez nous, des anciens maîtres italiens, et de développer le sentiment de la musique religieuse. À une époque où la chapelle du roi a cessé d’exister en France, une pareille tentative ne saurait qu’être approuvée des gens de goût, d’autant plus que l’intelligence parfaite du directeur (il faut bien lui donner son nouveau titre), non moins que l’instinct musical des patronesses, les plus illustres voix qu’on cite dans la société parisienne, répondent d’avance des soins qui seront apportés tant dans le choix des morceaux que dans l’exécution. M. de la Moskowa, qui joint aux connaissances techniques d’un compositeur l’érudition et la patience d’un archiviste, a découvert, à ce qu’on assure, de véritables trésors dans ce genre. Il ne s’agit de rien moins que de nous faire entendre ou plutôt de nous révéler Orlando di Lasso, Allegri, Scarlatti, et jusqu’à Vittoria, vieux maître espagnol dont à coup sûr vous ne vous doutiez guère. On parle déjà d’un certain cantique : Alla Trinità, du xvie siècle, et sans nom d’auteur, qui aux répétitions fait merveille. Nous le dirons encore, une semblable institution trouvant ses ressources en elle-même, et dirigée avec tact et bon goût, ne peut manquer d’avoir pour la musique de très utiles et de très avantageux résultats. Seulement, s’il nous était permis de risquer un avis, nous recommanderions au directeur de veiller de toute son autorité à ce que l’esprit du programme soit maintenu, et d’empêcher que cette fondation pour la musique religieuse et classique ne dégénère, à la longue, en une société de concerts où Bellini et Donizetti finiraient par prendre la place d’Allegri et de Palestrina. De toute façon, en pareille matière, un peu d’exclusion ne messied pas. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de rester ce qu’on est, et de ne point oublier qu’il s’agit d’une institution tout aristocratique, d’une espèce d’Almacks musical.


H. W.