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parti, et cela sans s’épargner ni le temps ni la peine, M. Halévy pouvait se maintenir dignement dans l’estime du public et produire de loin en loin, sinon des chefs-d’œuvre (qui fait des chefs-d’œuvre aujourd’hui ?), du moins de ces partitions honorables, et qui réussissent à l’aide d’un grand chanteur dont on exploite les prémices, ou mieux encore d’une procession ordonnée avec pompe. Après cela, que M. Halévy trouve plus avantageux d’entasser partitions sur partitions, qu’il soit plus selon les calculs de sa fortune de ne laisser son cerveau se reposer un seul jour, nous le concevons très volontiers ; seulement, il nous est permis de lui dire qu’il perd à ce jeu le peu qu’il avait. En effet, en pareille matière, le dernier des maîtres italiens lui en remontrerait. Ceux-là du moins ont le génie de l’improvisation ; ils savent comment on fabrique un opéra de pièces et de morceaux, et se tirent d’affaire à force de réminiscences et d’artifices. M. Halévy, au contraire, apporte jusque dans ces ébauches une pesanteur classique et une monotonie qui vous assomment ; c’est une lettre que nul esprit ne vivifie, un canevas de conservatoire où l’on sent que le musicien n’a point pris la peine de broder une pensée qui lui soit propre, en un mot le vide organisé.

On ne s’attend point à ce que nous analysions l’un après l’autre les vingt ou trente morceaux qui composent cette énorme partition de Charles VI, écrite au jour le jour, sans ordre, sans suite et sans conviction ; autant vaudrait prétendre discourir sur la valeur historique de ces habits rouges dont on a si naïvement affublé les soldats de Lancastre. Le musicien qui accepte une tâche du genre de celle que M. Halévy vient d’accomplir se range volontairement dans la catégorie des machinistes et des costumiers, et, comme tel, il ne nous appartient pas de le juger. M. Halévy rirait bien de nous voir prendre au sérieux ces trombones, ces tambours et ces clairons qui accompagnent pour la quatrième fois ce fameux cortége de cavaliers et de fantassins qui depuis tantôt dix ans ne se lasse pas de défiler dans tous ses opéras. D’ailleurs, pour que la critique puisse s’exercer utilement sur une œuvre, il faut que cette œuvre ait en elle des conditions essentielles et vitales que nous ne reconnaissons point à Charles VI. Dans sa première scène avec Odette, le vieux roi dit quelque part que pour les morts il n’est fleurs ni soleil, à quoi nous nous contenterons d’ajouter qu’il n’est pas non plus de critique. Un morceau cependant conserve le privilége d’exciter les applaudissemens : nous voulons parler du duo des cartes au second acte. Ce vieux roi en démence jouant à la bataille avec une jeune fille présentait en effet une situation originale et neuve. Mais le musicien en a-t-il su tirer parti ? Il s’en faut que la phrase du début réponde à l’appel héroïque des paroles. Nous ne saurions voir là qu’un assemblage de trompettes et de tambours, qu’un véritable tintamarre des cuivres, rendu encore plus assourdissant par les cris de Mme Stolz ; et si vous enlevez cette phrase ramenée jusqu’à trois fois, que reste-t-il à ce duo ? Nous préférons de beaucoup à ce morceau la ritournelle qui accompagne l’entrée du roi, motif savamment conduit, où se trouve un trait de basses d’un beau caractère. Nous indiquerons aussi en passant le trio entre Odette,