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malheureux prisonniers dans les cachots où ils étaient plongés ; mais ce fut pour reprendre bientôt avec une nouvelle fureur.

« Le calme dont jouirent les fidèles de Sandwich ne fut pas de longue durée. Bingham, tout-puissant sur l’esprit de Kinau, ne cessait de l’animer contre les catholiques. D’ailleurs les méthodistes américains avaient reçu du renfort. Il se trouvait dans l’archipel, au mois de juillet 1835, cent quarante-trois de ces sectaires. Les kumucks ou maîtres subalternes, étaient encore plus nombreux. Dès le mois de juin, on recommença donc à inquiéter les néophytes pour les obliger à fréquenter les écoles et les temples des protestans. Luc fut un des premiers qu’on arrêta : conduit au fort et mis dans les fers, il ne sortit de prison qu’après avoir payé une amende de 25 piastres.

« Deux chrétiennes âgées, Kilina et Lahina, furent aussi jetées dans les fers pour avoir refusé d’embrasser la religion de Bingham et d’assister à la prière des méthodistes. On les contraignit de ramasser avec les mains les excrémens des gardes et des prisonniers du fort, et de porter ces ordures à la mer. Pendant ce travail rebutant, elles avaient à essuyer les insultes de la populace. La plupart des indigènes auraient préféré la mort. Cependant elles obéissaient sans se plaindre, en disant que leur ame était à Dieu, et que, quant à leur corps, elles en faisaient volontiers le sacrifice pour demeurer fidèles au Seigneur. Les opinions des indigènes sont partagées à leur sujet : les uns les traitent d’idolâtres, d’autres sont édifiés de la fermeté de ces pauvres femmes. Plusieurs en ont été si touchés, qu’ils demandent à être instruits dans la doctrine catholique, malgré les dangers auxquels ils s’exposent. »

Ce fut dans ces circonstances que MM. Bachelot et Short débarquèrent d’une goëlette anglaise dans le port de Woabou, le 17 avril 1837 ; mais ils avaient à peine mis pied à terre, qu’ils reçurent l’ordre de remonter à l’instant à bord. En vain tous les agens consulaires intervinrent-ils en leur faveur ; les méthodistes furent inflexibles, et après deux mois de négociations, les deux prêtres durent reprendre la mer pour regagner la côte de Californie. C’est à ces outrages réitérés que le gouvernement français crut devoir répondre par une expédition militaire dont l’intervention a suffi pour amener une situation plus supportable.

En changeant les noms et les dates, en substituant M. Pritchard à M. Bingham, on connaît par les évènemens de Sandwich ceux dont l’île de Taïti a été le théâtre, et l’on se rend un compte exact des motifs qui ont conduit tour à tour dans cet archipel M. Dumont d’Urville et le contre-amiral Dupetit-Thouars.