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des doctrines que le principe d’autorité ne rendrait à coup sûr ni plus acceptables en elles-mêmes, ni moins imprudentes dans leurs manifestations.

Le gouvernement anglais s’est peu ému de notre acquisition récente : nous avons dit pourquoi. Il n’a pas porté un intérêt direct à ses missions étrangères à l’épiscopat de l’église établie, et a laissé faire à Taïti ce qu’il ne permettrait à coup sûr ni à la Nouvelle-Zélande, ni à la Nouvelle-Guinée. Cependant, si le pouvoir est resté calme, le fanatisme s’est agité : les portes de Somnauth ont trouvé leur pendant dans le traité de l’amiral Dupetit-Thouars. Des meetings se tiennent ou se préparent sur tous les points du royaume uni, des prières publiques sont prescrites, des brochures populaires sont répandues, et d’horribles imprécations s’élèvent contre le catholicisme et contre la France. Ce n’est pas qu’on s’inquiète du sort des missionnaires méthodistes. On sait fort bien que le traité d’occupation garantit de la manière la plus formelle le respect des propriétés et la liberté de prédication ; mais c’est cette liberté même qu’on ne craint pas de présenter comme le plus odieux attentat contre le droit des gens et la civilisation. Les protestans d’Angleterre et, nous avons regret d’ajouter, les protestans de France, donnent, dans cette affaire, un déplorable exemple d’intolérance ; ils rendent nécessaires des révélations qui importent désormais à la politique et à l’histoire.

Que s’est-il passé à Sandwich et à Taïti depuis dix ans ? Quels attentats contre la justice et l’humanité ont imposé au gouvernement français l’obligation d’exiger enfin des réparations ? Il est utile que le pays le sache pour comprendre de quel côté sont les griefs, pour être fixé sur la nature et la légitimité de ses droits.

Ce fut en 1827 que deux missionnaires catholiques abordèrent pour la première fois à l’archipel de Sandwich. Ils trouvèrent ce pays dominé par les méthodistes, dont le chef, nommé Bingham, exerçait sur les populations un despotisme incroyable. Lois politiques et religieuses, règlemens de morale, d’administration et de commerce, impôts, ventes et cultures, tout émanait des missionnaires, qui avaient constitué, sous le nom de kumucks, ou maîtres d’écoles brevetés, un corps auquel appartenait exclusivement le maniement des affaires publiques. Cependant, les progrès du catholicisme furent rapides et les conquêtes de MM. Bachelot et Short, le premier de la maison de Picpus, le second prêtre irlandais, alarmèrent bientôt les dominateurs du pays. Ceux-ci n’hésitèrent pas à les faire arracher de leur domicile malgré les énergiques protestations des consuls d’Angleterre et