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sions et beaucoup : il est travaillé d’un besoin trop sincère d’améliorer le sort de l’espèce humaine pour n’avoir pas tenté de mettre à profit et l’immense puissance politique dont il dispose dans les deux mondes, et les sommes presque incroyables recueillies pour cet objet des mains de l’aristocratie la plus riche de l’univers. Quelles conquêtes ont faites pourtant les agens de ces sociétés si puissantes dans les pays même que leur gouvernement domine ? quelles populations ont-ils préparées au baptême de sang ? à quelles persécutions leur œuvre a-t-elle jamais résisté ? Les missions protestantes ne sont et ne peuvent guère être autre chose que des oasis de civilisation au sein de la barbarie, des fermes modèles exploitées par des ménages joignant à l’exemple de leurs vertus privées celui d’un savoir agricole ou industriel fort recommandable. On entre dans les missions anglaises à peu près comme dans les consulats, pour se créer loin de sa patrie une position indépendante, et pour transmettre à ses enfans l’héritage de ses services ; il n’y a rien là, rien absolument de cette ardeur dévorante qui jette le jeune prêtre catholique, seul et sans autre appui qu’une croix de bois, sur ces terres où la mort l’attend, où il l’appelle avec une inexprimable impatience comme le couronnement prévu de ses travaux, le terme de ses plus chères espérances.

Et cependant le cœur de l’homme est ainsi fait que la folie de l’un est mille fois plus puissante sur les peuples que la prudence de l’autre. Il est démontré par une expérience réitérée qu’une mission protestante n’a jamais pu se maintenir en face d’une mission catholique sans attenter à la liberté de celle-ci. Entre le dévouement qui fait les docteurs et le dévouement qui fait les martyrs, la lutte est trop inégale ; les établissemens subventionnés par les sociétés bibliques ne peuvent donc subsister qu’en restant seuls maîtres du terrain. Pour eux, la concurrence est impossible, et la liberté serait la mort. Ceci est confessé si loyalement par tous les missionnaires épiscopaux et méthodistes, qu’aucune contestation sérieuse n’est à craindre sur ce point. On comprend donc toute la portée de la question qu’a fait surgir l’établissement imprévu d’une grande puissance catholique au centre même des missions protestantes de la Polynésie. La liberté substituée à Otaïti au monopole religieux et à l’omnipotence politique et commerciale des ministres wesleyens, la concurrence organisée sous des lois égales pour tous, ce n’est rien moins que la cinquième partie du monde évidemment perdue pour la réforme et prochainement conquise par le catholicisme. Jamais consé-