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dévoué de sa politique, n’est pas homme à perdre l’avantage du moment. Toutes les chances sont en leur faveur. Les conseils du gouvernement de Montevideo sont divisés ; Rivera et les émigrés argentins ont toujours eu beaucoup de peine à s’entendre ; le danger commun ne les réunira point. On parlera au lieu d’agir, comme on l’a toujours fait à Montevideo ; on y sera indiscret, comme on l’a toujours été ; les rivalités et les jalousies iront leur train, et on ne saura opposer que des mesures mal conçues, mal exécutées, sans cesse affaiblies par les tiraillemens de volontés contraires, à l’énergie, à la persévérance, au secret impénétrable qui caractérisent l’action du général Rosas, et à la supériorité réelle que lui donnent un pouvoir sans bornes et les grandes ressources de la province de Buenos-Ayres.

Quoique le général Rivera ne soit pas tout à Montevideo, comme Rosas est tout à Buenos-Ayres, nous parlerons peu des hommes qui composent son gouvernement et auxquels il abandonne l’administration intérieure du pays. La plupart d’entre eux ont sans doute plus de lumières que Rivera, se rendent mieux compte des obligations morales d’un gouvernement, ont des idées plus générales, des sentimens plus élevés, plus de connaissance des affaires, mais aucun n’a de prestige, aucun n’a en lui l’étoffe d’un chef de parti considérable et puissant. Ils gémissent en silence des prodigalités de Rivera, et du peu d’activité qu’il déploie ; mais ils restent, faute de mieux, attachés à sa fortune. Les deux principaux sont M. Vidal, aujourd’hui ministre universel, assisté de trois secrétaires d’état, et le général Henrique Martinez, ancien secrétaire général de Rivera, ex-ministre de la guerre, aujourd’hui président d’un conseil d’état formé exprès pour l’absorber, en lui donnant une grande position sans pouvoir réel. Telle est au moins l’opinion que nous avons trouvée généralement répandue à Montevideo sur cette combinaison. M. Vidal et M. Henrique Martinez étaient, dit-on, en lutte constante, dans le sein du même gouvernement. Le premier passait pour le défenseur du parti argentin, dont Rivera s’est toujours défié, et auquel il a joué plus d’un mauvais tour ; le second, pour le dépositaire des secrètes pensées du président, pensées enveloppées de mystère et auxquelles convenait l’esprit rusé de M. Martinez. L’un inspirait le journal de l’émigration argentine ; l’autre avait pour organe le Constitucional de Montevideo, qui combattait souvent avec une aigreur mal déguisée son confrère le Nacional bien que tous les deux défendissent la même cause. Cependant Rivera a sacrifié M. Martinez en donnant ou en laissant prendre à M. Vidal la direction des affaires.