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mière ; aucun n’aura vu ce que voyait l’autre. Répétez l’expérience sur le modèle vivant, et vous obtiendrez le résultat inverse ; ici c’est l’uniformité des imitations qui vous frappera ; il y aura encore nécessairement des différences individuelles, mais elles seront dominées par les ressemblances. Dans le paysage l’objet à représenter, n’étant pas rigoureusement délimité, est par cela même susceptible d’un plus grand nombre d’interprétations, et par conséquent l’imitation, qui est toujours une interprétation, en est plus libre, plus arbitraire. C’est là ce qui contribue principalement à introduire dans les peintures de paysage une plus grande variété de types. Cependant, comme il est extrêmement difficile de voir par ses propres yeux et assez facile d’imiter un maître, il se forme aussi, en paysage, des écoles, des systèmes, des routines. Seulement ces formules sont moins despotiques, plus variées, et laissent plus de jeu à la manifestation des qualités natives et individuelles de chaque artiste.

Édouard Bertin, dans ses Souvenirs de Sorrente, a cette fois admirablement réussi ; nous disons cette fois, car il est inégal. On pourrait voir la nature italienne autrement, mais difficilement d’une manière plus large et plus poétique. Parmi les paysages de style, celui-ci est certainement un des plus distingués et par l’esprit et par l’exécution. Nous sommes moins satisfait du Cyclope de M. Desgoffe, composé dans le goût héroïque. Ce n’est pas que la composition n’ait une certaine grandeur, mais l’exécution n’y répond pas tout-à-fait : elle est insuffisante et par trop conventionnelle. Admettons qu’il faut idéaliser, c’est-à-dire beaucoup élaguer dans le matériel de l’imitation ; il faut pourtant aussi que des rochers soient des rochers, que les arbres soient des arbres. Sa vue de la Campagne de Rome est bien préférable sous ce rapport. L’effet en est calme et grave ; elle donne de la solitude et du silence. M. Paul Flandrin est aussi de cette école de paysagistes qu’on pourrait appeler l’école romaine, et qui procède du Poussin. Son petit paysage à cadre rond, reconnaissable par un petit berger marchant en tête de son troupeau, est d’un sentiment et d’un goût plein de charme. Sa Promenade du Poussin plaira moins. Elle manque de vérité partout, dans le ton, dans le modelé des terrains, dans les eaux, dans la végétation. La composition est d’ailleurs d’une simplicité très voisine du dénûment. Le grand paysage historique de M. Buttura (le Ravin) a une forte teinte d’académisme ; il sent l’école. Nous n’y voyons qu’une mise en œuvre habile de matériaux tirés des grands magasins du pittoresque classique. M. Buttura a besoin de la nature. C’est là aussi