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ressortira naturellement de l’analyse de la scène. Le propriétaire du local, le peintre, est assis, les jambes croisées et le corps courbé en avant, devant une toile posée sur un chevalet ; il tient de sa main gauche sa palette et son appuie-main, de la droite son pinceau ; il peint. Il est coiffé d’un bonnet serre-tête noir ; une jaquette assez râpée, des culottes courtes et des bas négligemment tirés complètent son costume d’atelier. Tout entier à sa besogne, du moins en apparence, il paraît complètement étranger à ce qui l’entoure ; son œil fixé sur la toile suit et dirige le mouvement de sa brosse. Voyons les deux autres. Le premier, c’est-à-dire le plus voisin du spectateur, est assis sur un fauteuil à gauche du peintre, le corps un peu renversé en arrière, les jambes croisées, la tête légèrement inclinée, d’un air à la fois approbateur et capable, du côté du tableau. Son riche habit pailleté, à gros boutons d’or étincelans, et la recherche de toutes les parties de sa toilette, indiquent un seigneur ou un financier, quelqu’un de ces amateurs opulens qui tranchent du Mécène ; à la manière dont il se carre dans son fauteuil, on voit qu’il n’a pour le moment aucune affaire en tête, et qu’il ne partira pas de sitôt. Le second, vêtu plus simplement, pourrait bien n’être qu’un simple bourgeois, un habitant de la maison, par exemple, venu sans façon visiter son voisin, en attendant l’heure du dîner. Celui-ci est debout derrière le peintre, et, s’appuyant des bras et des coudes sur le dossier de sa chaise, se penche un peu en avant et de côté pour bien suivre la marche de la brosse, curiosité qui pourrait sans doute flatter l’amour-propre de l’artiste, si elle n’avait pour résultat un phénomène fort inquiétant, le mouvement insensible probablement imprimé à sa chaise par les manœuvres des épaules et des bras de son admirateur. Cette situation, déjà fâcheuse, deviendra plus grave encore, si l’on considère que l’autre visiteur s’est établi, et pour long-temps, à ce qu’il paraît, dans une attitude pour le moins aussi malheureuse. En s’installant dans son fauteuil, sa cuisse droite a pris une direction oblique du côté du bras gauche du peintre, qui, pour soustraire la palette à la menace incessante du genou, est obligé de rester collé au corps, et ne jouit que de mouvemens très circonscrits. L’artiste ne dit mot : c’est tout au plus si, de temps en temps, nos deux amateurs parviennent à lui arracher quelque monosyllabe. Quoiqu’il paraisse entièrement absorbé dans son travail, il est distrait ; sa pensée est ailleurs. Il est, en réalité, occupé à se demander si cela durera long-temps, et à calculer à quelle heure à peu près ces messieurs jugeront à propos de partir. On sent, du reste, qu’il a peu