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période révolutionnaire pour entrer dans celle de la liberté constitutionnelle. Peu importent le nom et la forme extérieure de leur gouvernement. République ou monarchie, c’est tout un. Ils ne sont pas libres. De tous les états indépendans qui se sont formés dans l’immense étendue de l’Amérique espagnole, le Venezuela, l’Équateur et le Chili, ce dernier surtout, sont les seuls qui aient un peu affermi leurs institutions et qui marchent avec honneur dans des voies régulières et sages. Si nous n’ajoutons pas à cette courte liste le nom de la république orientale de l’Uruguay, c’est que nous considérons toujours ce pays comme en état de guerre civile, et parce que son gouvernement n’a qu’une existence précaire et sans cesse menacée, et il faut plutôt en accuser les circonstances extérieures que les intentions et le caractère de l’administration elle-même ou l’esprit de la population.

La République Orientale est gouvernée depuis la fin de l’année 1838 par le général D. Fructuoso Rivera, militaire heureux, homme habile et politique rusé, esprit fécond en ressources, chef débonnaire et de mœurs faciles, mais administrateur insouciant de la fortune publique, qu’il dilapide et laisse impunément dilapider. Ambitieux et remuant, le général Rivera semble n’aimer du pouvoir que ses jouissances vulgaires ; il travaille peu, il n’éprouve pas les besoins des grandes ames ; n’a ni les qualités ni les défauts des grands caractères ; il est sceptique dans l’exercice de la puissance, et, bien qu’on lui suppose des projets dont la réalisation honorerait sa mémoire, toute sa conduite semble mesquine, parce que l’intrigue est l’ame de sa politique. Entre Rivera et Rosas, il y a, si magna licet componere parvis, la différence de Richelieu à Mazarin.

Depuis son avénement au pouvoir, le général Rivera s’est réservé la direction de la guerre et des relations extérieures, principalement avec les provinces de la République Argentine qui se sont séparées du gouvernement actuel de Buenos-Ayres, et avec les dissidens de la province brésilienne de Rio-Grande ; mais, trop ami du plaisir, il s’est tenu long-temps sur la défensive et dans l’inaction, n’entretenant autour de son quartier-général qu’un fantôme d’armée, tandis que les armées du général Rosas, obéissant à impulsion énergique et soutenue, écrasaient successivement les forces de l’insurrection dans toute l’étendue de la confédération argentine sur la rive droite du Parana. Aussi, quand le général Lavalle eut été vaincu à Tucuman, et le général La Madrid à Mendoza, en septembre 1841, la Bande Orientale n’avait-elle pas d’armée pour repousser une inva-