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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

sur lequel est imprimé le portrait du général Rosas, et au-dessous de ce portrait une légende plus ou moins longue, mais où figurent à coup sûr ces paroles : Meurent les unitaires ! Même ruban rouge et même légende au chapeau. La plupart des hommes complètent par un gilet rouge ces témoignages extérieurs de leur adhésion au système fédéral. Les femmes, depuis la plus misérable négresse jusqu’à la plus élégante créole, portent sur la tête, dans les cheveux ou sur le chapeau, un nœud rouge, appelé moño et malheur à celle qui l’aurait oublié ! Voici un portrait qui passe ! C’est celui du gouverneur. On l’a prêté pour orner une salle de bal ou pour figurer dans quelque cérémonie politique ; il vient de la maison du gouverneur ou bien il y retourne. Ce portrait, tout le monde le salue au passage, on se découvre à sa vue. L’étranger à qui cela ne conviendrait pas ferait bien de rentrer chez lui ou de prendre un autre chemin que le cortége. Pendant la nuit, le sereno qui passe sous vos fenêtres, avant d’annoncer l’heure qu’il est et le temps qu’il fait, crie : Vive la fédération ! meurent les unitaires ! Lisez régulièrement, ou essayez de lire les deux journaux qui se publient à Buenos-Ayres en langue espagnole. Pendant quinze jours, pendant un mois de suite, ils seront de la plus complète insignifiance ; vous n’y trouverez pas un mot, pas un fait, pas une réflexion, rien qui ait trait aux affaires du pays et qui indique que ces journaux sont ceux de Buenos-Ayres. Cependant vous retrouverez encore l’inévitable cri de mort contre les unitaires en tête de certaines annonces, ou celle d’une représentation au théâtre dans laquelle un unitaire sera égorgé par un fédéral sous les yeux du public. Mais enfin, après un silence plus ou moins long, le gouvernement aura jugé à propos de publier quelques nouvelles de la guerre. Alors que fait-il ? Il entasse pêle-mêle dans un numéro de la Gazette, sans ordre de dates, sans ordre de lieux, les bulletins et les rapports de ses généraux, des lettres d’officiers à leurs familles, des correspondances saisies à l’ennemi, les lettres et les adresses de félicitation des gouverneurs de provinces ou des corporations au général Rosas, les réponses de celui-ci, des vers, des acrostiches ridicules ou atroces, et sur chaque évènement des réflexions du journaliste dans un style ignoble, bas et ampoulé. Une autre fois, on publiera le compte-rendu des séances de la junte (c’est ainsi qu’on appelle la chambre des représentans de la province) ; mais ce sera six mois après leur date. Et qu’y trouvera-t-on ? Jamais l’apparence d’une discussion sérieuse ; les plus dégoûtantes flatteries prodiguées sans mesure et sans terme au général Rosas,