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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

à la régie. De cette manière, les 100 kilog. de tabac indigène coûtent en moyenne 69 fr. 41 cent.

On reconnaît que la suppression de la culture ne causerait pas, par la suppression du service de la surveillance, une économie sensible à la régie, et on ne peut invoquer cette raison en faveur d’une mesure dont nous avons d’ailleurs indiqué les mauvais effets. Ce n’est pas à dire pour cela que nous défendions absolument le statu quo. Nous pensons qu’on pourrait faire quelques concessions à certains départemens qui se trouvent placés, comme le Lot-et-Garonne, dans des circonstances trop défavorables, par suite des décisions ministérielles et préfectorales. Pourquoi ne pas tolérer dans ce département le nombre de feuilles sur chaque pied qu’on permet dans le département du Nord, dont les tabacs sont employés aux mêmes usages et ont les mêmes qualités ? On répond que les feuilles de terre sont, dans le département du Nord, employées à la fabrication des tabacs à prix réduits. Mais pourquoi ne pas employer à un usage semblable les tabacs de Lot-et-Garonne, que l’on pourrait très bien expédier dans les manufactures chargées de cette espèce de fabrication ? Enfin, qu’on nous permette une remarque, l’administration, qui est l’unique acheteur des tabacs présentés par les planteurs indigènes, a interdit à ceux-ci d’intervenir dans le choix des experts chargés de l’appréciation des récoltes, et a choisi pour remplir cet office ses propres employés, qui ont toujours à cœur de la satisfaire ; il en résulte que les planteurs n’ont plus aucune garantie contre l’erreur, et qu’ils se trouvent dans une condition pire que des ouvriers qui ne pourraient discuter leur salaire avec le maître qui les emploie. Or, la régie a reconnu elle-même la nécessité de payer convenablement les ouvriers employés dans ses manufactures ; elle a compris qu’un service fait au nom de l’état ne devait pas marchander le salaire de l’homme comme une industrie particulière. Pourquoi donc renonce-t-elle à cette conduite si sage quand il s’agit des cultivateurs ? Est-ce que les planteurs de tabac ne sont pas devenus ses employés salariés ? Qu’importe la manière dont le salaire est acquitté ? Dès que la culture du tabac n’est pas libre, dès que le planteur ne peut choisir le marché où il portera ses produits, dès que la concurrence est annulée, le gouvernement doit payer le travail du planteur comme il paie le travail des employés, largement sans gaspillage des deniers de l’état, généreusement sans profusion. La régie se trompe en considérant le planteur de tabac comme un cultivateur ordinaire ; le planteur est devenu son fermier ; elle ne peut le rançonner comme ferait un marchand qui se vante d’avoir fait un bon marché lorsqu’il a obtenu une marchandise à quelques centimes au-dessous de sa valeur. Elle lui impose ses lois, son contrôle, ses exigences minutieuses ; elle ne lui laisse d’autre ressource que l’incendie de ses récoltes, s’il n’accepte pas ses conditions ; elle lui doit un salaire proportionné aux chances qu’il court en lui donnant son temps, ses peines, et lui prêtant ses capitaux.

Au reste, l’administration avoue elle-même son mauvais vouloir envers la culture nationale. Tout en prétendant rechercher les moyens de ranimer la