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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

bonne partie des frais que l’on a supputés. D’autre part, les profonds labours que l’on a exécutés pour la culture du tabac et les engrais que l’on a prodigués dont un tiers au plus est absorbé, ne rendent-ils pas la terre bien plus propre aux cultures qui lui succèdent dans un système d’assolement bien entendu ? Ainsi, dans le Bas-Rhin, sans autre préparation que celle d’un labour, le froment succédant au tabac donne un produit de 24 hectolitres par hectare, tandis que, après toute autre culture, il ne donne que 18 à 20 hectolitres. Il est donc nécessaire, pour se faire une idée bien exacte des avantages que peut présenter la culture du tabac, de comparer un assolement quinquennal avec tabac (c’est celui qui est le plus en usage) avec un assolement quinquennal sans tabac, en faisant de part et d’autre les mêmes calculs d’appréciation de frais de culture. La préparation du tabac exige, année moyenne, quinze mois de soins assidus. D’abord le tabac est élevé en plants dont le semis se fait dans la première quinzaine de février ; le tabac est ensuite repiqué, et la récolte se fait en août et en septembre. On procède ensuite à la dessiccation, et ce n’est que dans le mois de mai suivant que le tabac est livré à la régie. Pour préparer les terres, il ne faut pas moins de trois labours à la charrue, et après la plantation il faut labourer à la bêche, rapprocher la terre des pieds, sarcler les herbes parasites, abattre les feuilles inférieures, feuilles de terre, écimer les plants et abattre les rejets. On procède ensuite à la récolte, on porte le tabac au séchoir, on fait le triage des feuilles, on les met en manoques, et on livre enfin les manoques à la régie.

En récompense de tous ces soins, de tous ces travaux, trop longs à détailler, le planteur trouve dans la culture du tabac un avantage qui se résume en un bénéfice surpassant de 270 fr. le bénéfice que lui aurait procuré par hectare un assolement quinquennal dont le tabac n’aurait pas fait partie. Une telle balance en faveur du tabac est bien faible, quand on considère qu’elle doit compenser et la chance de la perte totale ou partielle de la récolte par suite de la sécheresse ou de la grêle (car aucune plante n’est plus sujette que le tabac aux détériorations que peuvent causer les accidens atmosphériques), et l’incertitude du classement fait par des experts dévoués aux intérêts de la régie, et l’incertitude du prix qui sera alloué, et les vexations du contrôle de la régie, et les ennuis de la dépendance. Cependant il arrive que dans les bonnes années elle est plus considérable, et dans tous les cas elle est un bienfait dans les départemens où la culture du tabac est permise.

Dans le département du Nord seul, cette culture assure à plus de 5,000 familles 310 journées de travail, et, dans le département du Lot, 60,000 cultivateurs n’ont pas un travail plus productif que celui que leur donne le tabac. On sait que les trois quarts de la France sont encore cultivés par des métayers ou des fermiers dont les baux sont très courts ; les petits cultivateurs sont dans la position la plus malheureuse, pressés qu’ils sont d’un côté par le fisc, de l’autre par les propriétaires. Ils luttent constamment contre la faim, et, dans leur pressant besoin d’argent, c’est un grand bonheur que le privilége de planter du tabac, car à une époque fixe ils sont assurés de tou-