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étrangers eux-mêmes se contentent de cet aimable accueil, de cette facile introduction dans la société américaine, sans appuyer et sans chercher autre chose.

Montevideo présente l’apparence d’un mouvement intellectuel assez actif. On y publie deux grands journaux politiques, entre lesquels il existe une nuance assez tranchée pour alimenter la discussion, et qui donnent quelquefois de bons articles. On y traduit souvent des poésies françaises, quoique sans discernement, et l’on en imite beaucoup d’autres. Mais, quand on essaie de voler de ses propres ailes, on est bien moins heureux, soit en prose, soit en vers. Ce n’est cependant pas l’imagination qui fait défaut : c’est le goût, c’est l’étude, c’est le travail ; car on sent que les jeunes littérateurs de Montevideo se livrent trop à des caprices faciles et vulgaires qui ne sont pas même rachetés par le mérite de l’originalité.

Au reste, quand nous parlons du mouvement intellectuel de Montevideo, quels qu’en soient les défauts, nous ne les attribuons pas exclusivement au théâtre sur lequel il se manifeste. Nous n’ignorons pas que les émigrés de Buenos-Ayres y prennent une grande part, la plus grande peut-être et la plus distinguée n’y a point encore de génie littéraire sur les rives de la Plata ; mais s’il existe quelque jour une littérature argentine, ce qui est fort douteux, il faudra un microscope pour distinguer le caractère local dans les œuvres littéraires auxquelles Buenos-Ayres ou Montevideo pourront donner le jour.

Dans l’état actuel des choses, le sommeil de l’esprit humain est moins profond à Montevideo qu’à Buenos-Ayres ; voilà tout ce que nous avons voulu dire. Non-seulement le gouvernement de Montevideo n’est pas hostile par système à l’instruction, aux lettres et aux arts, mais il fait profession du contraire ; il favorise, autant qu’il est en lui et que les circonstances lui permettent de s’en occuper, toutes les branches de l’enseignement public ; il honore la culture de l’esprit, il provoque et récompense ses efforts ; enfin, il marche dans la voie, et il parle le langage de tous les gouvernemens civilisés. Mais ce qu’il fait n’est rien ; c’est surtout pour son influence indirecte que nous rendons cet hommage au gouvernement de Montevideo, et nous le lui rendons par contraste avec ce que nous avons à dire sur ce point du gouvernement de Buenos-Ayres. Aussi, pour nous faire comprendre, faut-il que nous présentions avec plus de détails le tableau de l’état politique et social des deux pays.

Entrez à Buenos-Ayres ; tous les hommes que vous rencontrez, excepté les étrangers, portent à la boutonnière un large ruban rouge