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mis le pied sur le Nouveau Monde, une habitude de fumer le tabac, répandue universellement parmi les indigènes, frappe les hardis visiteurs. Lorsque Christophe Colomb aborda l’île qu’il nomma San-Salvador, il chargea deux hommes de son équipage d’explorer le pays. « Ceux-ci trouvèrent en chemin, dit-il dans son journal[1], un grand nombre de naturels, tant hommes que femmes, qui tenaient en main un tison composé d’herbes dont ils aspiraient le parfum, selon leur coutume. » L’évêque Barthélemy de Las-Cases nous apprend, dans son Histoire générale des Indes, que le tison signalé par Colomb « est une espèce de mousqueton bourré d’une feuille sèche que les Indiens allument par un bout, tandis qu’ils hument par l’autre extrémité, en aspirant entièrement la fumée avec leur haleine. » Il nous dit que ces Indiens appellent ces mousquetons des tabacos, et c’est encore le nom que les habitans de la Havane donnent aux cigares.

Ce ne fut qu’en 1518 que Cortès envoya des graines de cette plante à Charles-Quint. Quarante ans après, le président Nicot, ambassadeur de France en Portugal vers 1560, ayant cultivé du tabac dans son jardin, et lui ayant reconnu de nombreuses propriétés, en présenta à la reine Catherine de Médicis. Catherine de Médicis en devint enthousiaste, le mit en vogue, et la mode s’en empara avec fureur. On supposait cette plante douée de toutes sortes de propriétés. Elle guérissait de tous les maux, de la migraine, des fluxions, de toutes les plaies, des morsures de chiens enragés, de la goutte, et que sais-je encore ? On disait que les cannibales s’en servaient contre le poison dont étaient frottées leurs flèches, et que, s’en allant à la guerre, ils portaient dans un pied de cerf du poison, dans un autre du jus de l’herbe verte du tabac ou des feuilles sèches. Dès qu’ils en avaient appliqué sur une plaie, quelque grave que fût la blessure, ils étaient hors de danger. Aussi toutes sortes de noms lui sont donnés par la reconnaissance populaire : c’est l’herbe à l’ambassadeur, ou nicotiane, l’herbe à la reine, l’herbe médicée, l’herbe sainte à cause de ses grandes vertus, l’herbe de Sainte-Croix, l’herbe de Tournadon, parce que le cardinal Sainte-Croix et le nonce Tournadon en avaient fortement recommandé l’usage. Mais de tous les noms qui furent donnés à cette plante, soit en Europe, soit en Amérique, dont chaque contrée l’appela d’un nom particulier, comme pycielt, petun, yalt, yoli, perebunnuc, etc., il ne lui est resté que le nom de tabaco ou tabac, que portait l’île de Tabasco, où Cortès livra sa première bataille contre les Indiens, et où il trouva cette plante employée à une foule d’usages domestiques. On prétend même que c’est de cette île qu’elle provenait originairement, avant de s’être répandue dans les autres contrées d’Amérique. Les naturalistes seuls lui ont conservé le nom reconnaissant de nicotiane.

Le tabac appartient à la famille des solanées, qui renferme tant de plantes

  1. « Hallaron los dos christianos por el camino mucha gente que atravesaba a sus pueblos, mugeres y hombres con un tizon en la mano, yerbas para tomar sus sahumerios que acostumbraban. »