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ne pensons pas, avec M. Dupin[1], que « le régime à l’aide duquel l’impôt des tabacs est perçu n’est point contraire à la charte et aux principes de notre droit public ; la loi est chargée de régler les formes de tous les impôts ; elle a pu adopter celle qui restreint la culture et qui confère à l’état le privilége de la fabrication et de la vente du tabac. Un droit exercé sous le contrôle des pouvoirs publics, au nom de l’état, en vertu des lois, n’est pas un monopole dans le sens habituellement attaché à ce mot, et le législateur peut le maintenir, si l’intérêt général le commande. » Si de telles raisons étaient valables, il n’y aurait pas d’industrie que le gouvernement ne pût confisquer sous prétexte de l’intérêt général. Que de monopoles pourraient être concentrés entre les mains du pouvoir de par la loi, qui saurait bien encore leur ôter le nom de monopoles, car l’intérêt général le voudrait ainsi ! Il ne faut pas seulement considérer « les diverses questions que provoque la législation des tabacs et qui concernent la culture, la fabrication et la vente dans leurs rapports avec les intérêts du trésor, de l’agriculture et du commerce ; » il faut aussi, en s’occupant quelque peu des intérêts des consommateurs, examiner si une raison majeure, dominant toutes les questions qui regardent les industries ordinaires, permet de créer une exception contre l’industrie du tabac Cette raison est, selon nous, celle de la salubrité générale. L’usage du tabac n’est pas absolument nécessaire ; le tabac n’est pas une substance dont il soit impossible de se passer, et il n’apporte pas dans la société un bien-être qui le rende digne de toute la sollicitude gouvernementale. L’usage du tabac est un vice contre lequel devait s’élever la loi, afin d’en empêcher la contagion. C’est sous ce point de vue particulier que nous approuvons le monopole du tabac, et nous ne partageons nullement l’indignation d’un membre du conseil des cinq-cents, qui s’écriait : « Il serait dégradant pour le gouvernement de se faire fabricant de tabac, et il serait odieux qu’il le devînt en obligeant les particuliers à cesser de l’être. » Mais nous ne voudrions pas que le gouvernement, devenu fabricant, cherchât à augmenter par tous les moyens possibles la consommation d’une substance nuisible, et se chargeât en quelque sorte de répandre dans le peuple une habitude vicieuse, sous prétexte d’augmenter incessamment une branche des revenus de l’état. La guerre que l’Angleterre a faite à la Chine pour la forcer à se laisser empoisonner par l’opium avait sans aucun doute un motif fâcheux, quoiqu’il soit très désirable que l’on pénètre enfin les arcanes du céleste empire, et que ce résultat puisse ainsi faire pardonner le principe. Eh bien ! le gouvernement nous vend, non pas de l’opium, mais un autre poison dont l’abus peut conduire à l’opium. En se soumettant à toutes les exigences des consommateurs, comme fait un fabricant qui a pour principal but l’écoulement rapide de ses produits, le gouvernement est entraîné dans une fausse voie. Il est dominé par un usage dé-

  1. Résolutions de la commission d’enquête de la chambre des députés, 1837.