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le drame. La donnée était pourtant tragique, et pouvait fournir à des développemens fortement colorés ; c’est une esclave moresque qui devient amoureuse de son maître, le comte de Castille, et qui finit par se faire épouser par lui, après l’avoir amené à se défaire de sa femme, qui le trahissait. Avec les mœurs barbares de l’Espagne au Xe siècle, cette esclave passionnée, ce comte jaloux, cette femme coupable, ce mélange de Maures et de chrétiens, de maîtres et d’esclaves, il eût été possible d’arriver à un grand effet de terreur. L’auteur a préféré des intentions fantasmagoriques qui rappellent par trop le goût germanique. Le sujet des Deux Vice-Rois était moins neuf et moins fécond, mais le lieu de la scène était heureusement choisi, et prêtait beaucoup. L’action se passe à Naples, pendant la domination espagnole, et peu après la révolution de Masaniello. L’Italie et l’Espagne se trouvaient alors en contact sur ce point, et du choc des deux peuples mis en présence pouvait sortir une foule de combinaisons scéniques intéressantes. Presque toujours, comme on voit, il y a une pensée première dans les œuvres de Zorrilla ; c’est l’exécution qui est défectueuse. La scène des Deux Vice-Rois n’a de Naples que le nom ; tout ce qu’a produit l’heureux choix du lieu, c’est un chant de pêcheurs napolitains, hors-d’œuvre aussi inutile que facile et banal.

Ce qui a toujours manqué au théâtre espagnol, même dans ses plus beaux temps, c’est le développement des caractères individuels. C’est par là, ce nous semble, que les nouveaux auteurs dramatiques devraient tâcher de se distinguer. Zorrilla l’a essayé timidement, faiblement, en homme qui n’est pas sûr de lui. En même temps que ce don indispensable à un novateur paraît lui manquer, un des côtés les plus essentiels du vieux génie dramatique espagnol lui manque aussi : c’est le comique. La patrie de Cervantès et de Quevedo est la patrie du comique moderne. Dans tout son théâtre, le rire abonde. Aujourd’hui encore, les Espagnols sont en général admirablement organisés pour saisir le ridicule de toute chose. Zorrilla, qui a plusieurs variétés de talent, n’a pas celle-là. C’est avant tout un poète lyrique et descriptif. Il semble donc, sauf expérience ultérieure, qu’il n’est pas né pour le théâtre. Il ne faut pourtant pas se trop presser de décider ; il est bien jeune encore, et le talent dramatique est un de ceux qui exigent le plus de maturité. Personne ne fait mieux que lui à Madrid ; il est au contraire, qui le croirait ? le plus chercheur, le plus oseur des poètes contemporains. Nous qui sommes loin du mouvement, nous ne pouvons pas nous faire une idée des