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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

qui il est, et il ordonne de le laisser aller. Quant à don Pèdre, sa jalousie s’accroît quand il voit qu’il a le roi pour rival.

Ce premier acte a bien la vivacité des modèles qu’avait choisis Zorrilla ; c’est bien là la vieille comédie nationale, la comédie de cape et d’épée telle qu’elle est sortie toute vivante des anciennes mœurs espagnoles. Tout y est mystérieux et imprévu, tout y arrive par coups de théâtre successifs et soudains. Le jardin, le balcon, la nuit, le rendez-vous, le duel, le roi, l’alcade, rien n’y manque. Doña Elvire est une de ces jeunes filles résolues et passionnées qui abondent dans l’ancien théâtre ; don Pèdre est le jeune cavalier, brave, galant et jaloux, qui s’y retrouve également partout. Non-seulement les personnages sont identiques et les situations analogues, mais la versification est presque la même. C’est toujours ou l’ancien vers assonnant des romances, devenu encore le vers dramatique, ou plus habituellement le même petit vers de huit syllabes formant ces quatrains appelés en Espagne redondillas, dont le premier vers rime avec le quatrième et le troisième avec le second. L’un et l’autre de ces deux systèmes de vers sont également rapides, faciles, abondans, et donnent au dialogue beaucoup de vie. Sous ce rapport, Zorrilla ne mérite que des éloges ; de plus, quand la situation s’y prête, il se jette comme ses maîtres dans les jeux de versification. Ainsi, quand Elvire attend dans le jardin la visite du roi, elle exprime ses chagrins en stances de grands vers à rimes croisées. Dès qu’elle a fini, don Pèdre caché derrière la grille, débite à son tour un soliloque dans le même nombre de stances et sur les mêmes rimes. Ce duo de bouts rimés ne manque pas de grace ; c’est un des plus heureux emprunts que Zorrilla ait faits au vieux génie poétique de son pays.

Rien n’est charmant, le genre admis, comme ces fusées poétiques qui s’échappent par momens, dans Lope ou Calderon, du milieu du dialogue et s’épanouissent en mille éclairs. Tantôt ce sont des octaves ou des tercets en vers héroïques, tantôt c’est un sonnet finement travaillé et orné de jeux d’esprit comme de pierreries, tantôt ce sont des stances à refrain, comme celles de Sigismond dans la Vie est Songe, que tout Espagnol un peu instruit sait par cœur. Les croisemens de rimes les plus gracieux, les coupes de vers les plus harmoniques, les choix de mots les plus élégans, s’unissent aux plus ingénieuses subtilités de la pensée, aux plus exquises délicatesses du sentiment, aux plus riches broderies de l’imagination. La muse essentiellement lyrique des peuples du Midi se complait à ces éblouissans hors-d’œuvre Quand il s’agit, comme dans notre ancien théâtre