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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

pense à moi. » À ces mots le tonnerre éclate, l’éclair rapide brille, et dans l’azur serein s’élève la magnifique vision. La reine des anges fuit vers les cieux, elle sourit encore en fuyant à Marguerite prosternée, et disparaît bientôt dans les lointains infinis de l’air diaphane, laissant après elle un parfum délicieux et une traînée d’impalpable lumière. »

Ici finit la première partie de Marguerite ; la seconde est moins intéressante et contient les dernières aventures de don Juan de Alarcon. On retrouve dans cette première partie quelques-unes des anciennes qualités des conteurs espagnols, la légèreté, la rondeur, le trait, assez bien fondues avec les qualités plus modernes du large développement descriptif. Quant au dénouement, l’auteur dit que c’est une tradition populaire, et nous le croyons aisément au charme naïf qui le distingue. Ce n’est pas, du reste, la première fois que paraît dans les poètes nationaux ce genre de merveilleux qui consiste à mettre une personne en face d’elle-même. Le même prodige se retrouve dans un drame de Calderon, mais avec un effet aussi tragique que celui-ci est gracieux. Un misérable, couvert de crimes et tourmenté par le remords, remarque qu’il est suivi partout par un homme vêtu comme lui et qui ne le quitte pas plus que son ombre. Il s’approche de ce surveillant mystérieux et lui demande brusquement : Qui es-tu ? L’homme répond : Tu mismo (toi-même). Jamais le sombre génie du Nord n’a inventé une plus terrible évocation de la conscience. Zorrilla lui-même a employé encore ce moyen dans une autre de ses légendes ; c’est celle qui a pour titre le capitaine Montoya, et qui n’est autre que la fameuse histoire de don Juan de Maraña. Montoya, sur le point d’enlever une religieuse, voit tout à coup passer devant lui un convoi funèbre ; il demande à l’un des prêtres qui l’on va enterrer : Le capitaine Montoya, répond le moine d’une voix lugubre. Le capitaine terrifié croit avoir mal entendu ; il suit le convoi, entre dans l’église, et demande encore à un prêtre le nom du mort : Le capitaine Montoya, répond le prêtre.

Zorrilla ne s’est pas contenté de ces visions empruntées au vieux génie catholique de son pays. Il a voulu faire encore une excursion dans le genre fantastique proprement dit. Dans la préface de son conte, la Passionnaire, il suppose un dialogue entre sa femme et lui. Sa femme lit les contes fantastiques d’Hoffmann, et lui demande pourquoi il ne s’essaierait pas dans ce genre. Zorrilla répond que le fantastique allemand ne convient pas à l’Espagne, et que le merveilleux espagnol doit être uniquement religieux. Sa femme insiste pourtant, et il cède. Après cette petite mise en scène, il entre en