« La religieuse prend enfin la lumière, et, traversant l’église, elle passe près de Marguerite en la touchant de sa robe. Marguerite ne peut résister au charme caché qui l’entraîne ; elle l’arrête par sa manche, mais sans avoir la force de parler. — Que me voulez-vous ? dit la religieuse d’une voix pleine de douceur. — Vous me laissez donc seule ainsi ? répondit Marguerite. — Si vous n’avez pas d’asile dans cette nuit orageuse, venez avec moi dans le cloître. — C’est impossible. — Si vous désirez parler à quelque sœur, veuillez revenir demain. — Oui, je voudrais parler… — À qui ? — À vous. — Qu’avez-vous à me dire ? — Je ne sais ce qui oppresse ma voix… Comment vous nommez-vous ? — Marguerite. — Nous avons toutes deux le même nom. — Vous vous nommez ainsi ? — Oui, madame, et dans un autre temps j’étais… Quel emploi avez-vous ? — Tourière. — Tourière ! Depuis quand ? — Depuis un an. — Un an ! — Il y en a dix que je suis dans ce couvent. — Marguerite écoute avec stupeur sa propre histoire. L’inconnue a son nom et son âge ; comme elle, elle est depuis un an tourière ; comme elle, elle est au cloître depuis dix ans. Que doit-elle penser ? Enfin elle lève les yeux sur le visage de la religieuse et se reconnaît avec frayeur elle-même. Celle qui est devant elle a tous ses traits ; c’est elle-même ou son image qui est restée au couvent.
Marguerite tombe à genoux, sans volonté, sans voix, sans mouvement, le cœur et l’esprit éperdus, aux pieds de la sainte apparition ; elle y reste, le front dans la poussière, jusqu’à ce que l’accent de la voix sacrée permette à son ame purifiée de l’animer de nouveau. Alors, jetant sa mante sur la jeune fille et la couvrant de ses pieux vêtemens, l’apparition lui dit de sa voix céleste : « Tu t’es placée en fuyant sous ma protection ; je ne t’ai pas abandonnée ; vois, ton cierge brûle encore sur mon autel ; j’ai occupé ta place ;