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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

tation, comme on voit ; les Espagnols sont dans une période où ils ne peuvent guère échapper à l’imitation, même quand ils prétendent le plus à faire du neuf. Mais cette imitation nouvelle atteint assez son but, qui est de montrer que l’Espagne moderne, tout en suivant le cours du siècle, a les yeux fixés sur ses origines.

Il en est de même des titres et des sujets de légendes de Zorrilla. Tantôt c’est un proverbe qui sert de titre, et on sait quel goût les anciens poètes espagnols ont eu pour employer ainsi les proverbes ; tantôt c’est le nom de Boabdil qui revient, ou celui du fameux roi don Pèdre, ou la qualification nationale de romance pour toute espèce de récit chevaleresque rimé. Zorrilla a fait plus ; il a voulu que ses poèmes fussent, par la forme du moins ; essentiellement espagnols. Il les a écrits presque tout entiers dans ce fameux vers octosyllabique et assonnant, qui est celui de tous les romances originaux, et qui porte lui-même le nom de romance. On sait qu’on entend par assonnans des distiques dont les vers impairs sont blancs, et dont les pairs assonnent, c’est-à-dire se terminent par les mêmes voyelles, quelles que soient les consonnes. Cette forme de vers ne se trouve qu’en Espagne. On rencontre quelquefois des poèmes entiers écrits sur la même assonnance. Il faut une grande habitude pour saisir cette rime imparfaite ; mais, quand une fois l’oreille est accoutumée à son harmonie, on trouve dans sa faiblesse même et dans sa monotonie un charme particulier, d’autant plus que, le vers étant très court, elle revient souvent. C’est quelque chose de simple et de primitif, comme nos anciens romans monorimes, auxquels d’ailleurs elle a succédé ; on dirait la rime à sa naissance, et ne se rendant pas encore bien compte d’elle-même, une sorte de rime rudimentaire qui ne peut être saisie que par l’organisation fine et délicate d’un peuple méridional. Puis, ce qui distingue encore ce genre de vers, entre tous les autres, c’est la facilité extraordinaire qu’il donne à l’écrivain. Avec une langue riche en voyelles comme l’espagnol, la rime complète est déjà extrêmement facile ; que sera-ce de l’assonnance ? Les vers assonnans couleront sous la plume du poète avec l’abondance intarissable de l’improvisation.

Dans l’impossibilité de donner une idée de toutes les légendes de Zorrilla, nous en prenons une à peu près au hasard. C’est celle qui a pour titre : Marguerite la tourière. Elle remplit un volume entier de la collection, et ne compte guère moins de cinq mille vers. Le sujet n’en paraîtra peut-être ni bien neuf, ni bien piquant, mais il est très